Still Walking

by - novembre 04, 2018



STILL WALKING
de Hirokazu Kore-eda

Ryota vit à Tokyo, il s'est marié il y a quelques temps avec une femme adorable,veuve, ayant un fils. Pour la première fois ils prennent le bus pour aller voir sa famille à lui et y passer la nuit. Déjà pendant le trajet, il a une seule idée abréger sa visite. Et très rapidement on s'aperçoit qu'il ment sur sa situation professionnelle.

Aimer le cinéma de ce réalisateur, c'est aimer voir des scènes intimistes et se retrouver dans les petites maisons typiquement japonaises, avec leurs portes coulissantes, les futons que l'on déplie le soir, les tatamis encore verts et bien sure quelqu'un qui cuisine. En général c'est Kirin Kiki qui s'invite chez vous pour vous donner envie de prendre une cuillerée de sauce où les épices infusent, de croquer dans ce mais frit, ou dans ces glaces à l'eau, grosses comme des pavés qui habitent les mangas et qui prennent formes ici. Ce film ne fait pas exception, c'est au sein d'une maison familiale que se retrouvent nos personnages. 
Mais là encore plus que dans d'autres films, cette maison devient un théâtre avec pour annexe, la «clinique désaffectée» du père de cette famille, vaguement à la retraite, mais qui porte toujours son titre de docteur comme une marque de noblesse. Le réalisateur prend soin de toujours filmer l'intérieur de la maison avec une caméra posée, dans de longs plans plus ou moins fixes. Et jamais dans mon souvenir on ne verra des gens passer d'une pièce à l'autre, seul le jeune Atsushi le fera, d'une manière très discrète. Les pièces sont des territoires dédiés aux souvenirs et le plus souvent à la mère de famille. Et c'est dans son ancien cabinet que le père trouve refuge, ce qui passe pour un coté suffisant.
Car on sort et on rentre beaucoup dans ce film. Encore une fois à la manière d'une scène de théâtre. Spécialement dans ma salle à manger, qui est le centre névralgique du film au sens propre comme figuré. Ils sortent coté jardin, alors que le coté court est la cuisine. Mais aussi on sort sur les cotés. Les hommes y sont souvent représentés comme des courant d'airs, ils apparaissent, prennent ce qu'il y a à prendre et s'évanouissent à l'arrière plan. Le personnage de Ryota avec sa grande stature en est le parfait exemple, toujours trop grand, il ne semble jamais être sa place, et devient colérique dans cette situation
il est difficile pour les hommes de trouver leurs places. Mais il semble difficile pour tout le monde de s'y retrouver, tant le fantôme du frère mort est présent. Médecin qui mourut noyé en sauvant un enfant. Il est présent, et l'amour qu'on lui porte semble faire passer au second plan, les autres enfants. Le père en veut à Ryota de ne pas avoir fait médecine et repris le flambeau familial. Alors qu'il paraît évident qu'il n'avait pas de place lors du vivant de son frère. La mère, elle refuse avec moult ruses que sa fille et sa famille vienne habiter dans leur maison. Personne n'y trouve son compte au final.

Si mon opinion est que le deuil a changé bien des choses, il passe pourtant pour un événement isolé pendant tout un pan du film. Ce n'est qu'au fil de l'histoire que la vivacité de la douleur semble s'affirmer. Le repas qui célèbre la mort de cet homme, la manière dont le personnage de Kirin Kiki vous raconte la mort de son fils est à vous arracher le cœur. Mais c'est aussi la torture de celui qui a survécu, que ce soit l'enfant sauvé, ou le frère qui ne veut pas vivre la vie de son aîné. Et qui se retrouve à mentir sur ce qu'il fait pour avoir un meilleur rôle aux yeux de ses parents. Mais c'est aussi une scène autour d'un papillon, qui symbolise toute la douleur d'une mère qui pourtant fait bonne figure.

Les scènes sur le deuil et les rituels qui l'entourent me fascinent toujours, et elles sont régulièrement présentes dans les films de Hirokazu Kore-eda. Mais la visite dans ce cimetière avec ce paysage extraordinaire, et la notion qu'introduit ce film qui semble dire que la transmission aux enfants passe par ces lieux, me touche beaucoup. Tout comme, le besoin d'un enfant d'aller sur la tombe de son père pour pouvoir donner à son drame une place concrète dans son quotidien.
Et quel place il a cet enfant. Il est bon de voire poindre les prémices des liens entre Ryota et son beau fils. Et alors que la grand mère et le grand père sont tout sauf délicats, ils finissent par l'adopter. Et finalement mettent le pied à l'étrier de leur fils, inscrivant ce petit dans la veine médical, alors que clairement ce n'est pas son choix.
Une question taraude ce réalisateur et après avoir vu plus d'une dizaine de ses films, elle s'impose. Que fait-on de nos rêves d'enfants? Ryota voulait être médecin comme son père, et espérer que son frère devienne chirurgien. Il finira par être un artiste . La non entente des deux , est un caillou dans la chaussure de cet homme. Quand on sait que le réalisateur a confié qu'il y avait des ressemblances entre ce film et sa vie. On ne peut que s'interroger et être touché.

Ce film nous montre le cycle de la vie, celui où l'on passe de la brosse à dent au dentier. Celui ou on ne sait pas jauger les moments et leur importances, et où au détour d'une chanson on peut avoir la clé de toute une vie.
Le casting met en scène Hiroshi Abe dans le rôle de Ryota, sa grande silhouette filiforme semble se cogner à chaque poutre et chaque mur dans cette maison où étouffe son personnage. Il est formidable et cultive un coté gauche super attachant.
Je n'ai pas de mot pour dire mon amour pour Kirin Kiki. Et lorsque son personnage sort des horreurs vous avez envie de vous blottir dans ses bras.
Le petit bonhomme de ce film est Shohei Tanaka, il a réussi à m'arracher les larmes.

Si ce film était une sauce que cuisinait Toshiko, il serait aigre-doux, comme toute bonne réunion familiale.

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