Kagemusha

by - juin 16, 2018



En 1965, Akira Kurosawa sort certainement mon film préféré le concernant, il s'agit de l'excellent « Barberousse » ! Un film magnifique sur la vie d'un apprenti médecin et de son maître, dans une clinique pour personnes en difficultés. Le réalisateur fait preuve d'un grand talent, déroule ces thèmes et réalise un film profondément humain. Hélas c'est aussi la fin d'une ère, celle du contrat d'exclusivité avec la Toho, celle de sa collaboration avec Toshiro Mifune et surtout c'est le milieu de sa carrière, une carrière qui s'annonce désormais plus compliqué. La télévision à désormais le vent en poupe et fait plus d'audience que le cinéma, de ce fait les revenus des studios baissent et ils sont de moins en moins enclin à financer les gros projets qu'affectionnent Kurosawa. La décennie qui suivra sera assez difficile pour lui !

Les USA lui tendent les bras avec appétit, mais rien ne se passera jamais comme prévu, son premier projet ne verra le jour que vingt ans plus tard , tandis que « Tora, Tora, Tora » le marquera profondément, par la violence de l'implacable machine hollywoodienne. Puis vint le retour au Japon, avec son premier film en couleur, le touchant « Dodes'kaden »(1970), qui fut un échec, malgré le bon accueil qui lui fut réservé à l'étranger. Après une tentative de suicide en 1971, Akira Kurosawa se relance en Russie avec « Derzou Ousala » (1975) avec un oscar du meilleur film en langue étrangère, avant de devoir faire appel à un certain George Lucas et Francis Ford Coppola pour finir de produire son film, l'imposant « Kagemusha » !


« En 1573, le Japon est le théâtre de guerres incessantes entre clans rivaux. Le plus puissant de ces clans est commandé par Shingen Takeda. Au cours du siège du château de Noda, Takeda est blessé à mort par un tireur embusqué. Pour éviter que son clan perde de sa cohésion dans des luttes intestines, Shingen demande que sa mort reste cachée pendant trois ans. Un ancien voleur, épargné pour sa ressemblance avec le seigneur de la guerre, fait alors office de doublure avec la complicité des généraux, afin de duper leurs nombreux ennemis à l'affût. »

Avec « Ran » qui sortira 5 ans plus tard (Et que je vous conseille fortement), « Kagemusha » fait partie des deux grandes épopées de son créateur et même si je préfère le premier nommé, ce dernier n'en est pas moins excellent ! Un jidai-geki ambitieux, avec des thèmes forts, mais surtout une volonté de s'interroger sur l'héritage que l'on laisse lègue et qu'elle trace il en restera !


A contrario de « Ran » qui s'inspire du « Roi Lear » de Shakespeare, le scénario du film va prendre ses racines dans la culture japonaise, notamment la période Sengoku, une époque relativement instable et riche en conflit. Pour cela Akira Kurosawa retrouve Masato Ide, l'un des brillants scénaristes qui l'avait accompagné sur « Barberousse » et ensemble ils s’intéressent au personnage historique de « Takeda Shingen », à sa mort et à « La Bataille de Nagashino ». Notamment sur la période qui suit son décès et sur l'utilisation d'une « doublure », d'un « Kagemusha » pour donner le change vis a vis des autres seigneurs. On découvre au début, le seigneur avec ses fils, débattant sur un individu qui pourrait être la doublure idéale, et cela malgré son comportement. C'est une décision très dure à prendre, mais lorsque le seigneur est touché, le temps presse car l'une de ces dernières volontés c'est d'attendre trois ans, avant d'annoncer sa mort ! Une manœuvre essentielle pour préserver son clan des querelles et des trahisons.


Mais l'essentiel n'est pas là, car avec la figure du « Kagemusha », le réalisateur nous donne la chance de vivre une seconde fois ! La doublure de « Takeda Shingen » symbolise la vie qu'aurait pu avoir son seigneur, une vie sans conflit, ou il aurait pus s'occuper des siens, de ses fils et de son petit fils. Une vie joyeuse, loin du terrible chef de guerre qu'il était. Avant de basculer sur le plus terrible, voir l’œuvre d'une vie se désagréger sous ses yeux. Et très honnêtement comment ne pas voir Akira Kurosawa, s'interroger sur lui, sur son œuvre, sa vie et son héritage. « Kagemusha » n'est pas que le double du personnage de « Takeda Shingen », mais aussi celui de son réalisateur, qui trouve ici un terrain idéal pour s'exprimer et laisser s'épanouir ses thèmes de prédilections, particulièrement celui du « double » !.

On retrouve dans ce film, le même intérêt que le réalisateur à pour la couleur et que l'on pouvait voir dans « Dodes'kaden ». Une richesse picturale que le film nous transmet avec la générosité propre au réalisateur, c'est à la fois riche, expérimental et détaillé, un œil qui fascine et qui nourrit à coup sur la direction artistique de « Kagemusha » ! Que cela soit les décors majestueux, en passant aux costumes de Seiichiro Hagakusawa, le film respire la tradition et l'authenticité, de plus le travail de la lumière (Takao Saito) est fabuleux. Un détail à ne pas négliger pour un film de ce genre. Et Akira Kurosawa en profite pour livrer une magnifique fresque, presque épuisante dans sa version d'origine (180 min) et qui laisse la part belle aux intrigues de pouvoirs dans un premier temps, avant de la contemplation, jusqu'aux batailles, avec un rythme assez calme, ou l'on profite autant de la musique de Shinishiro Ikebe, que des plans larges sublimes, des demeures et autres paysages; avant de laisser place à la fureur des guerriers, notamment lors de la dernière bataille qui est dantesque et tragique à la fois.


Quant au casting, il est impeccable ! On notera la dernière apparition de Takashi Shimura dans un film de Akira Kurosawa, hélas coupée de la version internationale. On trouve ensuite Tsutomu Yamazaki dans le rôle de Nobukado Takeda, Ken'ichi Hagiwara dans celui de Katsuyori Takeda,les fils de Takeda Shingen ! Deux acteurs qui en imposent et livrent une belle performance. Puis il y a aussi Jinpachi Nezu, Hideji Otaki ou encore Daisuke Ryu dans le rôle de Nobunaga Oda. Mais celui qui porte tout cela, c'est Tatsuya Nakadai ! Un acteur talentueux, à l'aise avec un sabre, qui ici joue deux rôles, celui de « Takeda Shingen » et celui du « Kagemusha ». Et c'est une bénédiction pour lui, car on peut voir l'étendu de sa palette de jeu, qui est aussi bon dans l'un que dans l'autre. On passe d'un personnage puissant, fort et autoritaire, à quelqu'un de plus frêle, plus couard et lâche, que l'acteur s'approprie à chaque fois, pour composer deux performances hautes en couleurs, expressives et surtout irréprochable.

Kagemusha - 26 Avril  1980 - Réalisé par Akira Kurosawa

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