1940 - 19491948Akira KurosawaAsieChieko NakakitaCritiqueMichiyo KogureNoriko SengokuReizaburo YamamotoTakashi ShimuraToshiro Mifune
l'Ange Ivre
Un
an avant ce film, Akira Kurosawa sortait le mélancolique « Un
Merveilleux Dimanche ». Histoire d'une déambulation, ou tels
les les battements d'un cœur, un jeune couple, symbole d'une
jeunesse sacrifiée, tentait de faire vivre leur rêve, dans un Japon
d'après guerre atone, qui ne demande qu'a repartir de l'avant. C'est
un film ambivalent, à la fois très dur mais aussi sacrément
optimiste, qui nous laisse complètement tétanisé lors d'une scène
fabuleuse face caméra, qui brise instantanément le quatrième mur,
pour s'adresser à ses concitoyens. Si la carrière de A. Kurosawa
fut marqué par sa collaboration avec Toshiro Mifune (16 films), les
prémices de la guerre, le conflit et sa fin, sont autant de
stigmates que les jalons parcourant le début de sa carrière.
L'histoire de « L'Ange Ivre » c'est un peu la sienne,
mais aussi celle du Japon, la grande, avec ces innombrables
contradictions …
« Appelé
en pleine nuit à soigner un jeune gangster pour une blessure à la
main, un médecin alcoolique décèle une affection plus grave, la
tuberculose. Il tente de soigner le jeune homme qui ne veut rien
entendre, et malgré les disputes et les menaces, il se prend
d'amitié pour lui. Le chassé-croisé des deux hommes que tout
oppose trouvera une issue tragique dans les milieux violents de la
pègre japonaise. »
« L'Ange
Ivre » est une merveille de film a l'équilibre toujours juste,
oscillant entre deux mondes en apparences irréconciliables. La
dualité du monde telle que la voie Kurosawa n'est pas un handicap,
c'est même l'une des caractéristiques de sa filmographie, car dans
le fond elle n'est pas manichéenne et que la nuance c'est nous les
hommes, femmes et enfants de son récit qui l’apportons. Comme ici
avec « L'Ange Ivre » ou un médecin, avec un fort
penchant pour la bouteille essaye de soutenir un yakuza du nom de
Matsunaga, qui perd peu a peu sa place dans son monde.
Sur
bien des points, ce « Drunken Angel » (Titre Original
Anglais) est le film des commencements. Toshiro Mifune joue pour la
première fois dans un film de Kurosawa, ce qui était pour lui sa
troisième expérience devant la caméra; c'était aussi la première
fois pour Takashi Shimura dans un premier rôle chez A.K, lui qui
était jusque la cantonné aux seconds rôles chez lui et enfin il
s'agit de la première confrontation entre ces deux immenses acteurs.
C'est aussi le deuxième départ de sa carrière après « La
Légende du Grand Judo », qui si la situation semble similaire
(censeur américain) est pour Akira Kurosawa, le premier film dans
lequel il peut réellement s'exprimer ! Pour cela, il s'attache
à nouveau les services de Keinosuke Uekusa son ami d'enfance, avec
lequel il avait déjà écrit « Un Merveilleux Dimanche ».
Le premier s'attelle à décrire le monde des yakuza, pendant que le
second fouille dans sa mémoire, pour trouver le personnage du
médecin, et enfin le film.
Tout
s'articule alors autour d'une mare, élément central d'un décor
immense, que le réalisateur à repris du film « Le Nouvel age
des fous » (1947) construit par Takashi Matsumaya et qui sert
de point de passage aux divers personnages. A la fois pivot central
du récit et véritable poumon où les personnages se croisent, se
rencontrent et se séparent, elle est une métaphore vivante du japon
d'après-guerre, ainsi que de l'état de nos deux personnages
principaux. Car l'eau ici est un symbole d'unité (celle du japon) et
de vie (Matsunaga/Sanada), mais celle ci ne remplit plus son rôle,
elle est noire, sale et nauséabonde, bref c'est une mare à
l'agonie. Le Japon n'arrive plus à mettre un pied devant l'autre.
Matsunaga voit sa vie se dégrader par la tuberculose, ou comme le
docteur Sanada qui est tout aussi médecin qu'alcoolique, seul son
devoir ne le fait pas basculer.
Quant
à la réalisation de Akira Kurosawa elle est une fois de plus de
qualité, je dirais même presque parfaite ! Le
film est beau, agréablement rythmé, monté, avec un noir et blanc
subtil, habilement travaillé par Takeo Ito, les plans sont composés
à la perfection, avec une belle profondeur de champ, rien n'est
laissé au hasard et les décors de Takashi Matsumaya aussi !
Que cela soit le décor central, ou les divers cabinets et
appartements que l'on découvre tout est pensé pour servir la mise
en scène de Akira Kurosawa. Des lieux de vies, dans lesquels les
personnages prennent toutes leurs places, où les détails sont
autant de points qui enrichissent l'image, que la scénographie mise
en place par le réalisateur. A cela on peut rajouter la composition musicale essentielle de Fumiyo Hayasaka, qui revient continuellement, et qui
sert de marqueur pour les divers personnages, comme lorsque le patron
yakuza revient en ville, un détail en apparence anodin mais qui en
dit en fait énormément, on ne fait pas que voir le changement, on
l'entend !
Le
casting quant à lui est pétri de talent ! On trouve parmi les
rôles secondaires, Reizaburo Yamamoto dans celui de Okada, Michiyo
Kogure dans celui de Nanae, Chieko Nakakita dans celui de Miyo ou
encore Noriko Sengoku dans celui de Gin, des personnalités avec
beaucoup d'aisance et de talent qui servent à merveille nos deux
acteurs principaux que sont Takashi Shimura et Toshiro Mifune. De nos
jours on ne les présente plus, mais à l'époque de ce film, ils
n'étaient pas encore les acteurs confirmés qu'ils furent, Takashi
Shimura n'était qu'un second rôle récurrent chez A.K et Toshiro
Mifune débuté à peine dans le métier. Tous les deux trouvent ici
un rôle à leur hauteur, celui d'un docteur, alcoolique et dépassé
par la vie autour de lui pour le premier et un yakuza dragueur,
hâbleur et rebelle qui mène une vie de débauche. Takashi Shimura
fait preuve d'une grande finesse dans son jeu, toujours à la
frontière de la colère et de la lassitude complète, que ses gestes
et surtout ses yeux laissent transparaître. Une belle performance
qui se fait hélas presque vampiriser par celle du futur grand
Toshiro Mifune. Une première chez A.K pleine de panache, de style et
d'audace, a tel point que le réalisateur lui a laissé bien plus de
place que prévu ! C'est une vrai révélation, une claque, un
coup de poing, bref Toshiro Mifune impose son charisme et son charme
indécent dès son premier gros rôle avec une aisance qui confère à
l'insolence.
L'Ange Ivre - 27 Avril 1948 - Réalisé par Akira Kurosawa |
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