YOJIMBO (Le Garde du Corps)
d'Akira Kurosawa
En
1860, alors qu'il suit une route déserte un homme, visiblement un
ancien samouraï, entend des cris qui proviennent d'une maison. Un
père et un fils s'invectivent, le jeune homme décide de devenir
joueur professionnel. Il rejoint une ville qui est déchirée et où
deux camps s'affrontent faisant la richesse de l'homme qui construit
les cercueils.
1860 est une période charnière pour le japon. Il est important de s'y appesantir car elle ouvre et enrichit la lecture de ce film. En effet c'est la fin de l'ère féodale qui a commencé en 1600 et qui s’achèvent en 1868.c'est une organisation très codifiée et hiérarchisée, qui voit en son sommet l'empereur puis le shogun, puis à l'autre bout de la chaîne, les artisans, les personnes ayant un emploi méprisé, et les samouraï n'ayant plus de maître à servir. En 1860 commencent à percer des conflits sociaux qui font vaciller cette organisation.
Sanjuro
est un samouraï rattaché à personne. Il est un homme errant, ce
qui est une condition honteuse dans cette société, mais pas que. De
plus en plus les samouraï sont perçus comme des mercenaires à la
solde de leurs seigneurs. Et ces
ronin apparaissent soit comme des personnages sages voire vertueux
qui ont voulu échapper à ce système, soit comme des personnes qui
se louent au plus offrants, des bandits.
Dans
ce film Sanjuro se positionne comme un de ces bras à vendre. Et fait
entrer les deux familles rivales dans une escalade qui a pour seul
but de libérer ce petit village qui jadis fonctionnait autour de la
soie. Mais il est plus riche que ça, et c'est la réalisation qui le
met en exergue . Elle le place physiquement très rapidement au
dessus de la masse. Lorsqu'il créé un combat entre le deux familles
et qu'il se positionne ,en haut d'une échelle au coté d'une cloche.
Un arbitre aux desseins dissimulés. Chacune des phases où il
s'engage auprès d'un clan ou de l'autre est emprunte d'un second
sens ou d'un but que la réalisation laisse percevoir avec
intelligence au spectateur sans pour autant lui expliquer le fond.
Par exemple la première fois qu'il s’enrôle, il surprend une
conversation qui devrait le faire sortir de ses gongs, mais il y
répond par l'un des plus déstabilisant tirage de langue que j'ai
vu. Ça passe par ça, ou
par un des sourires plein de sens de Toshiro mifune, ou par sa manière de caresser sa barbe. Ici l'acteur, qui est toujours extrêmement bon, l'est encore plus, avec un charisme et une bienveillance qui magnifient son rôle. Et qui enrichissent son personnage. Sa prestation, et la mise en scène millimétrée de kurosawa lui donne une aura proche de celle des super héros qui cachent leur identité pour pouvoir agir. Car Sanjuro n'est pas un nom, ça veut dire dans la trentaine. Et c'est comme ça qu'il se baptise. De plus il ne garde jamais l'argent qu'on lui donne, il le rend, il l'offre... il part comme est arrivé, avec uniquement son kimono et son sabre. Il n'y a aucun enrichissement.
par un des sourires plein de sens de Toshiro mifune, ou par sa manière de caresser sa barbe. Ici l'acteur, qui est toujours extrêmement bon, l'est encore plus, avec un charisme et une bienveillance qui magnifient son rôle. Et qui enrichissent son personnage. Sa prestation, et la mise en scène millimétrée de kurosawa lui donne une aura proche de celle des super héros qui cachent leur identité pour pouvoir agir. Car Sanjuro n'est pas un nom, ça veut dire dans la trentaine. Et c'est comme ça qu'il se baptise. De plus il ne garde jamais l'argent qu'on lui donne, il le rend, il l'offre... il part comme est arrivé, avec uniquement son kimono et son sabre. Il n'y a aucun enrichissement.
Ce film est à l'image de son personnage principal, n'est pas uniquement là où le croit. Il est d'abord plus riche et plus drôle. Il n'y a pas un seul moment mort, ou plus lent. On sent l'influence des westerns, dans la manière dont kurosawa filme son héros, de dos, seul face au reste du monde, son kimono fouettant dans le vent. Ou dans la manière dont il met en scène cette ville, ses ruelles désertées, ou seul un chien avec une main dans la gueule se promène, le vent qui soulève la poussière du sol, et les prostituées que l'on s'attend presque à voir chanter dans un saloon.
Mais
il est en même temps « edo » avec ces kimonos, ces
tenues si recherchées, ces sabres, ou cette taverne où Sanjuro vit,
avec ce mur qui coulisse s'ouvrant sur l'extérieur, et permettant
des plans sublimes structurés et parfois rythmés par l'espace que
dessinent ces planches. Donnant aussi à certains passages cette
impression d’être à la fois hors et dans la vie de la rue. Juste
à la marge en train de réfléchir dans la même posture que
Sanjuro
Le Cinéma de Kurosawa est riche de contrastes forts dans ses noirs et blancs, et de jeux de symétrie qui réjouissent mon petit cœur. Et cet art est parfait pour illustrer cette ville divisée entre deux camps. Le clan Sebei, géré par une famille, où la mère dicte sa loi. Ils sont liés avec le maire et un grossiste en soie, et de l'autre coté le clan Ushitaro, où un aîné est secondé par ses deux frères, un aussi bête et laid, que l'autre est charmant et futé. A leur coté se tiennent un notable et un brasseur de saké. Cette ville ne semble exister qu'à travers eux, tous les autres habitants à part le vieil homme qui héberge notre héros le vieux Gon et le fabriquant de cercueil semblent avoir disparu du paysage. Cette rivalité phagocyte ces rues, les rendant binaires.
Un
autre personnage est caractéristique de cette double lecture, Unosoke, qui est le frère de Ushitaro, il arrive avec un kimono
blanc qui le fait sortir du lot . Il est plus cynique et plus
dangereux, mais surtout son rapport à son pistolet fait de lui la
personne qui tend vers la période suivante de l'histoire. Une
période sans sabre avec un rapport au combat et à la mort très
différent
Si
on s’arrête quelques secondes sur le Japon de 1960 il ressemble
beaucoup à celui sont je vous parlais en début de billet . Et on
n'est pas sans percevoir une bipolarisation. Si depuis 1952, il n'est
plus occupé par les États Unis,
ils ont encore beaucoup d'influence dans sa politique, ils ont
par exemple encore accès à 600 ports. Et le nouveau traité qui est
signé en 1960 ne change quasiment rien. Pendant ce temps le pays est
secoué depuis les années 50 par des mouvements sociaux qui amène
au pouvoir le parti libéral démocrate qui prone
une augmentation des salaires et du niveau de vie des japonnais. Mais
aussi il voit descendre dans la rue trois millions de Japonnais qui
s'opposent à un traité de coopération militaire avec les
américains que le premier ministre essayait de faire passer. Le
siècle qui sépare les deux histoires semblent tout petit tant l'une
semble l'écho de l'autre.
Ce
long métrage est riche, et on retrouve sa trace dans plein de films.
Je ne parlerai pas de pour une poignée de dollars qui aura un
article pour lui tout seul. Mais de films comme "Kubo et l'armure magique" qui en plus de
reprendre l'image de Toshiro Mifune place le kabuto tant recherché à
un endroit qui renvoi directement à cette histoire. Mais sa genèse
est toute aussi riche. Akira Kurosawa dit qu'il s'est inspiré du
roman de Shugoro Yamoto jours de paix,
et d'un roman noir dont je ne citerai pas le nom ; car depuis
des livres ce sont écrits, des gens sont rentrés dans des thèses
interminables disant que le livre que cite le maestro n'est pas
forcement le bon, et que ce serait plutôt l'un ou un autre.
Ce
billet est déjà bien assez long, pour que je ne conclue pas
rapidement. Ce film est un pur bonheur pour tous ceux qui comme moi
aime les samourai, et/ou akira kurosawa et/ou toshiro mifune. Et si
vous avez le tiercé, c'est un moment d'extase filmique
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