Yojimbo

by - mai 03, 2018


YOJIMBO (Le Garde du Corps)
d'Akira Kurosawa

Mon amour pour les films de Kurosawa s'est révélé avec le duo Wild side et carlotta qui ont ressorti toute une partie de l’œuvre dans des coffrets de rêves avec des carnets qui nourrissent ma cinéphilie. Soyons clair nous n'avons pas du tout eu le budget pour encore acheter toute la collection. On aurait aimé voir Yojimbo remastérisé par eux, mais on n'a trouvé une version plus vieille dans une solderie, et on s'est laissé tenter. Et j'ai renoué avec ce plaisir infini que sont pour moi les films de samouraï

En 1860, alors qu'il suit une route déserte un homme, visiblement un ancien samouraï, entend des cris qui proviennent d'une maison. Un père et un fils s'invectivent, le jeune homme décide de devenir joueur professionnel. Il rejoint une ville qui est déchirée et où deux camps s'affrontent faisant la richesse de l'homme qui construit les cercueils.

1860 est une période charnière pour le japon. Il est important de s'y appesantir car elle ouvre et enrichit la lecture de ce film. En effet c'est la fin de l'ère féodale qui a commencé en 1600 et qui s’achèvent en 1868.c'est une organisation très codifiée et hiérarchisée, qui voit en son sommet l'empereur puis le shogun, puis à l'autre bout de la chaîne, les artisans, les personnes ayant un emploi méprisé, et les samouraï n'ayant plus de maître à servir. En 1860 commencent à percer des conflits sociaux qui font vaciller cette organisation.
Sanjuro est un samouraï rattaché à personne. Il est un homme errant, ce qui est une condition honteuse dans cette société, mais pas que. De plus en plus les samouraï sont perçus comme des mercenaires à la solde de leurs seigneurs. Et ces ronin apparaissent soit comme des personnages sages voire vertueux qui ont voulu échapper à ce système, soit comme des personnes qui se louent au plus offrants, des bandits.
Quel style d'ancien samouraï est notre héro?
Dans ce film Sanjuro se positionne comme un de ces bras à vendre. Et fait entrer les deux familles rivales dans une escalade qui a pour seul but de libérer ce petit village qui jadis fonctionnait autour de la soie. Mais il est plus riche que ça, et c'est la réalisation qui le met en exergue . Elle le place physiquement très rapidement au dessus de la masse. Lorsqu'il créé un combat entre le deux familles et qu'il se positionne ,en haut d'une échelle au coté d'une cloche. Un arbitre aux desseins dissimulés. Chacune des phases où il s'engage auprès d'un clan ou de l'autre est emprunte d'un second sens ou d'un but que la réalisation laisse percevoir avec intelligence au spectateur sans pour autant lui expliquer le fond. Par exemple la première fois qu'il s’enrôle, il surprend une conversation qui devrait le faire sortir de ses gongs, mais il y répond par l'un des plus déstabilisant tirage de langue que j'ai vu. Ça passe par ça, ou
par un des sourires plein de sens de Toshiro mifune, ou par sa manière de caresser sa barbe. Ici l'acteur, qui est toujours extrêmement bon, l'est encore plus, avec un charisme et une bienveillance qui magnifient son rôle. Et qui enrichissent son personnage. Sa prestation, et la mise en scène millimétrée de kurosawa lui donne une aura proche de celle des super héros qui cachent leur identité pour pouvoir agir. Car Sanjuro n'est pas un nom, ça veut dire dans la trentaine. Et c'est comme ça qu'il se baptise. De plus il ne garde jamais l'argent qu'on lui donne, il le rend, il l'offre... il part comme est arrivé, avec uniquement son kimono et son sabre. Il n'y a aucun enrichissement.

Ce film est à l'image de son personnage principal, n'est pas uniquement là où le croit. Il est d'abord plus riche et plus drôle. Il n'y a pas un seul moment mort, ou plus lent. On sent l'influence des westerns, dans la manière dont kurosawa filme son héros, de dos, seul face au reste du monde, son kimono fouettant dans le vent. Ou dans la manière dont il met en scène cette ville, ses ruelles désertées, ou seul un chien avec une main dans la gueule se promène, le vent qui soulève la poussière du sol, et les prostituées que l'on s'attend presque à voir chanter dans un saloon.
Mais il est en même temps « edo » avec ces kimonos, ces tenues si recherchées, ces sabres, ou cette taverne où Sanjuro vit, avec ce mur qui coulisse s'ouvrant sur l'extérieur, et permettant des plans sublimes structurés et parfois rythmés par l'espace que dessinent ces planches. Donnant aussi à certains passages cette impression d’être à la fois hors et dans la vie de la rue. Juste à la marge en train de réfléchir dans la même posture que Sanjuro

Le Cinéma de Kurosawa est riche de contrastes forts dans ses noirs et blancs, et de jeux de symétrie qui réjouissent mon petit cœur. Et cet art est parfait pour illustrer cette ville divisée entre deux camps. Le clan Sebei, géré par une famille, où la mère dicte sa loi. Ils sont liés avec le maire et un grossiste en soie, et de l'autre coté le clan Ushitaro, où un aîné est secondé par ses deux frères, un aussi bête et laid, que l'autre est charmant et futé. A leur coté se tiennent un notable et un brasseur de saké. Cette ville ne semble exister qu'à travers eux, tous les autres habitants à part le vieil homme qui héberge notre héros le vieux Gon et le fabriquant de cercueil semblent avoir disparu du paysage. Cette rivalité phagocyte ces rues, les rendant binaires.

Ce film n'est pas que l'un des meilleurs films de samouraï que j'ai vu avec un énorme bonheur. C'est beaucoup plus que ça! Et des les premières minutes Kurosawa nous prévient . Alors que Sanjuro rencontre l'une des bandes, ils se présentent par le biais de leurs tatouages faits alors qu'ils étaient prisonniers. Ils se surnomment les yakuza. Un échange qui se termine par « un alors vous êtes bon à tuer » de Sanjuro. En un mouvement, le scénario légitime ce qui risque de leur arriver, les positionnant comme étant des hommes indignes. Et lance une passerelle entre cette période et le japon de 1960 qui est gangrené par les Yakuza.
Un autre personnage est caractéristique de cette double lecture, Unosoke, qui est le frère de Ushitaro, il arrive avec un kimono blanc qui le fait sortir du lot . Il est plus cynique et plus dangereux, mais surtout son rapport à son pistolet fait de lui la personne qui tend vers la période suivante de l'histoire. Une période sans sabre avec un rapport au combat et à la mort très différent
Si on s’arrête quelques secondes sur le Japon de 1960 il ressemble beaucoup à celui sont je vous parlais en début de billet . Et on n'est pas sans percevoir une bipolarisation. Si depuis 1952, il n'est plus occupé par les États Unis, ils ont encore beaucoup d'influence dans sa politique, ils ont par exemple encore accès à 600 ports. Et le nouveau traité qui est signé en 1960 ne change quasiment rien. Pendant ce temps le pays est secoué depuis les années 50 par des mouvements sociaux qui amène au pouvoir le parti libéral démocrate qui prone une augmentation des salaires et du niveau de vie des japonnais. Mais aussi il voit descendre dans la rue trois millions de Japonnais qui s'opposent à un traité de coopération militaire avec les américains que le premier ministre essayait de faire passer. Le siècle qui sépare les deux histoires semblent tout petit tant l'une semble l'écho de l'autre.
Ce long métrage est riche, et on retrouve sa trace dans plein de films. Je ne parlerai pas de pour une poignée de dollars qui aura un article pour lui tout seul. Mais de films comme "Kubo et l'armure magique" qui en plus de reprendre l'image de Toshiro Mifune place le kabuto tant recherché à un endroit qui renvoi directement à cette histoire. Mais sa genèse est toute aussi riche. Akira Kurosawa dit qu'il s'est inspiré du roman de Shugoro Yamoto jours de paix, et d'un roman noir dont je ne citerai pas le nom ; car depuis des livres ce sont écrits, des gens sont rentrés dans des thèses interminables disant que le livre que cite le maestro n'est pas forcement le bon, et que ce serait plutôt l'un ou un autre.

Ce billet est déjà bien assez long, pour que je ne conclue pas rapidement. Ce film est un pur bonheur pour tous ceux qui comme moi aime les samourai, et/ou akira kurosawa et/ou toshiro mifune. Et si vous avez le tiercé, c'est un moment d'extase filmique

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