Ce dernier point est crucial, car en plus d'apporter à son film plus de corps et profondeur, il montre aussi l’intérêt que porte la réalisatrice pour notre monde et sur sa volonté d'y porter un regard critique. Et c'est ce l'on trouve dans ses derniers films, marqués par sa collaboration avec le scénariste Mark Boal. Elle signe avec trois films, l'éprouvant « Démineurs » en 2009 sur la futilité de la guerre en Irak et l'impact sur sa jeunesse engagée dans le conflit, l'excellent « Zero Dark Thirty » en 2013 sur la traque de Ben Laden et sur ces conséquences, et enfin « Detroit » en 2017.
« Été 1967. Les États-Unis connaissent une vague d’émeutes sans précédent. La guerre du Vietnam, vécue comme une intervention néocoloniale, et la ségrégation raciale nourrissent la contestation. À Detroit, alors que le climat est insurrectionnel depuis deux jours, des coups de feu sont entendus en pleine nuit à proximité d’une base de la Garde nationale. Les forces de l’ordre encerclent l’Algiers Motel d’où semblent provenir les détonations. Bafouant toute procédure, les policiers soumettent une poignée de clients de l’hôtel à un interrogatoire sadique pour extorquer leurs aveux. Le bilan sera très lourd : trois hommes, non armés, seront abattus à bout portant, et plusieurs autres blessés… »
C'est au final le coup de trop pour le tandem Kathryn Bigelow/Mark Boal, car ce « Détroit » est un film faussement engagé qui rate absolument tout ce qu'il entreprend. Si la réalisatrice n'a pas de mauvaises intentions, ce que je crois, elle ne cherche jamais et ça à aucun moment à froisser qui que ce soit. Enlevant de ce fait ce que fut les meurtres à l'Algiers Motel, a savoir l'expression d'un système raciste !
Lorsque le film commence, les crédits défilent et on arrive enfin à 2 minutes d'animations qui posent le contexte de l'intrigue à venir. Ce que je trouve essentiel dans un film qui raconte un fait réel, parce qu'il faut définir les contours de ce que l'on va découvrir, de manière à ne pas avoir un avis faussé sur la période concernée, hélas si on confie cela à une classe de primaire qui ne semble pas tenir entre ses mains toutes les clefs de l'histoire, on se retrouve avec quelque chose de réducteur, angélique et profondément malhonnête.
Si je veux bien comprendre que l'on ne parle pas des décisions politiques majeures de cette époque (l'abolition des lois jim crow); passer sous silence le mouvement pour les droits civiques qui dure depuis 1945 me semble aberrant, tant la place de la population afro-américaine fut majeure. Et surtout leur lutte fut indispensable, car si la ségrégation était abolie, ce n'était pas le cas dans la vie de tous les jours ou les discriminations se bousculaient encore (discrimination à l'embauche, pour l'achat d'un logement ou encore les brutalités policières), déclenchant l'hostilité de la population noire. Et c'est ce qui amena un grand nombre d'émeutes raciales lors de ce que l'on appelle « The long hot summer » en 1967.
Par exemple l’événement déclencheur lors de l 'émeute à Détroit, c'est une descente de police dans un bar clandestin le soir du 23 juillet. Ce que ne dit pas le film, c'est que ce soir là, les gens fêtaient le retour de deux soldats du Vietnam. Comme les noirs ne pouvaient ouvrir et tenir un endroit assez grand pour se réunir, ils étaient contraint à l'illégalité, la police le savait et les harcelés. C'était la goutte d'eau de trop pour une communauté noire à fleur de peau. Et c'est clairement ce qui manque à ce film, une réelle conscience politique, qui prend la situation dans sa globalité et dans toutes sa complexité.
Une promesse non tenue, car c'est aussi un film qui porte très mal son nom « Detroit » ! Pourquoi ? Parce que les émeutes ne sont pas le cœur du film. Le scénario de Mark Boal préfère se concentrer sur les événements survenus dans la nuit du 25 au 26 Juillet au motel Algiers. Il relègue ainsi les émeutes à un rang d'accessoire, à une toile de fond informelle que l'on nous rappelle par intermittence avec des extraits télé d'époque sans trop savoir l'impact réelle que cela à pour les gens. Toutefois revenir sur les faits qui se sont déroulés au motel Algiers est une bonne idée, parce que d'une c'est symptomatique de l'époque et des nombreuses discriminations dont la population noire est victime, mais cela fait aussi écho aux diverses émeutes qui eurent lieu aux USA ces dernières années, révélant que tout ou presque reste à faire près de cinquante ans plus tard.
Hélas les bonnes intentions n'ont jamais fait un film et ça Kathryn Bigelow et son scénariste l'ont oublié ! Naviguant constamment entre la reconstitution pure et le docu-fiction, l'intrigue concocté par Mark Boal hésite elle aussi, entre les émeutes et les meurtres du motel Algiers. Mais comme rien n'est écrit et développé correctement, on se retrouve face à une intrigue cousue de fil blanc, où aucune émotion ni empathie ne se dégage ! Ce qui est un comble quand on pense que le cœur du film est un huis clos de 40 minutes ou la police torture de façon complaisante des jeunes afro-américains. J'aurais du être choquer, et mal à l'aise, mais non, car les personnages sont mal écrits, caricaturaux, et sans aucun background auquel on peut se rattacher, pour moi il m'est donc impossible de prendre ça au sérieux.
Et c'est ce qui m'énerve car cette cinéaste que je respecte tant, est tombée dans l’excès, une chose qu'elle avait pourtant brillamment évité dans « Zero Dark Thirty » alors que le sujet était tout aussi sensible. Ici elle ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes, elle n'interroge personne, ni les institutions, ni le pouvoir en place, ni les différentes communautés, elle choque pour choquer et il n'y a rien de brillant la dedans ! Une démarche qui serait valable, voire louable, si l'on était trente ou quarante ans en arrière, un temps où la violence n'était pas omniprésente dans les médias, mais pas à notre époque, celle ou l'on voit à la télévision des jeunes afro-américains se faire abattre par la police aussi froidement qu'inhumainement.
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