Le cinéma de la réalisatrice Naomi Kawase, est un cinéma ancré dans le réel. Il ne manque jamais de vie, ni de chaleur ou encore d'humanité. Et je pense que c'est grâce à cette chaleur qui se dégage de ses films, qu'elle sait aussi bien parler de la mort, du deuil, de la résilience, du temps qui passe et des souvenirs qui s'estompent. Elle construira une filmographie qui sera marquée par ces thèmes. On trouvera cela dans « Voyage à Yoshino », dans « Les Délices de Tokyo » ou l'on découvre une certaine Tokue, au côté de Kaito et Kyoko dans « Still the Water », ou encore dans l'affrontement ancestral de « Hanezu, l'esprit des montagnes » et bien évidemment « Mogari No Mori ».
Ce dernier que je cite, qui est aussi le film dont je vous parle ici, affronte ces thématiques d'une manière beaucoup plus franche, au vu notamment des titres qu'on a à notre disposition. En japonais par exemple, « Mogari » désigne des rites funéraires ancestraux, quant au titre anglo-saxons « The Mourning Forest » veut dire simplement « La foret du deuil ».
« Shigeki vit dans une petite maison de retraite sous le regard bienveillant d'une aide-soignante, Machiko. Sans le savoir, tous deux partagent un lourd secret : la perte d'un être cher. A la suite d'un accident de voiture, Shigeki et Machiko se retrouvent seuls et désemparés. Lorsque le vieil homme s'enfonce dans la forêt voisine, Machiko n'a d'autre choix que de le suivre. »
« Le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre » disait Nelson Mandela. Une qualité dont ne manque pas Naomi Kawase, car lorsqu'elle s'attelle à ce film « Mogari no Mori », elle laisse parler sa vie, son cœur et ses souvenirs. Une part de son existence qu'aborde la réalisatrice avec une pudeur toute japonaise , mais aussi avec une franchise désarmante.
Naomi Kawase écrit un scénario d'une limpidité à toute épreuve, que cela soit dans ce qu'elle décrit, que ce qu'elle nous fait vivre, équilibrant aussi bien qu'elle le peut, l'histoire de ce duo improbable entre l'aide soignante et le soigné avec les thèmes qu'elle développe en arrière-plan, ce qui donne à ce film tout ce relief. Le premier contact n'est pas forcément des plus avenants et cela va de soi, car le souvenir convoqué par la réalisatrice n'est pas forcément des plus agréable. Elle se rappelle la détresse lorsque sa grand tante commençais à devenir sénile, sa solitude, mais aussi un système qui s'occupe des personnes avec beaucoup d'humanité, ainsi que les bons moments qu'il eut dans cette situation là.
Ce rôle-ci, n'est plus celui d'une réalisatrice, il est dévolue à une « aide soignante » ! C'est une façon de mettre de la distance, tout en impliquant encore plus le spectateur, en lui rappelant le rôle et la place des « anciens » dans la société. Un sujet toujours plus d'actualité, que ça soit au Japon ou chez nous en France. Mais c'est aussi et avant tout, la rencontre de deux personnes, à des âges distinct, qui ont tous les deux perdues une personne qui leur était chère. Deux âmes en peines, qui gèrent comme ils peuvent le deuil avec une façon qu'il leur est propre. Et c'est ce qui va les rapprocher, l'un comprenant l'autre, se protégeant parfois, mais surtout ils n'étaient plus seuls face à leurs peines.
Car le deuil, ce n'est pas comme lorsqu'on lit ça sur une page internet, ce n'est pas cinq étapes que vous cochez et puis voilà. Naomi Kawase transmet bien cela. C'est un long processus, âpre, pénible et parsemée d’embûches, qui vous hante à tout jamais, car l'espace laisser par la personne ne se comble jamais. La tristesse submerge souvent, la mélancolie guette et les souvenirs se mêlent à ça. Puis vint le temps de la résilience et de se souvenir, afin de perpétuer leurs mémoires. Et de temps à autres les croyances s'immiscent au milieu, aidant les personnes à mieux le vivre, comme le bouddhisme ici et la réaction du vieux monsieur Shigeki, qui dit une dernière fois au revoir …
Quant à la réalisation de Naomi Kawase, elle est pour moi égale à elle-même, proche des gens et de l'environnement. Elle est à la fois discrète et présente, alternant les gros plans (voir très gros) avec des plans d'ensembles, captant aussi bien les émotions que la moindre parcelle d'un décor absolument ravissant. Et ça permet de mieux connaître là ou on se trouve ainsi que l'environnement naturel, de la préfecture de Nara qu'elle filme mieux que quiconque (et ça avec un amour non dissimulée). C'est aussi un film qui laisse la part belle au son ! On ne rate aucun bruit ambiant, un craquement de plancher, une discussion ou encore le vent qui fait bruissez les feuilles entre elle, apportant de cette façon une dose de vie supplémentaire à ce récit menée d'une main de maître. Les acteurs quant à eux, mélange entre professionnel et amateur, ils se débrouillent très bien, notamment Machiko Ono et Shigeki Uda.
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