Kwaidan

by - mai 27, 2018


KWAIDAN
de Masaki Koyabashi


Parler de l’œuvre d'une vie, est une gageure. C'est être présomptueux de croire que l'on va pouvoir en quelques mots retranscrire un film, en général. Ce serait friser l’arrogance de penser pouvoir le faire à propos de ce film japonais, seul long métrage du réalisateur en couleur, et quelles couleurs! Et dont la forme est si particulière. Ce petit billet sera donc très spécial, plus proche de la déclaration d'amour frustrante car incomplète à une œuvre qu'autre chose

Alors bienvenu dans le monde des Yokai !

Ce film est un trésor à bien des égards, et ambitionner de vouloir en parler est source d'enrichissement personnel. C'est la promesse d'ouvrir 170 pages sur votre ordinateur, et chacune d'elle vous fera plonger dans des époques, des univers, des Histoires plus riches les uns que les autres, dont des biographies dignes de personnages fictions.

Prenons par exemple Lafcadio Hearn, né sur une île irlandaise en 1850. Je ne saurais vous conseiller de googler son nom. Il vécu cinquante quatre ans, sa vie mêle Maupassant, Roosevelt, le Judo, des mariages sur différents continents, Zola... et de nombreux pays et paysages. Lorsqu'il meurt en 1904 , il a pris la nationalité japonaise, s'est marié avec la fille d'un samourai, et a écrit kwaidan ou histoires et etudes des choses étranges. Livre qui répertorie certains des contes et histoires de fantômes japonais. Parmi eux les quatre que Kobayashi met en images: les cheveux noirs; la femme des neiges, Hoichi sans oreilles, et dans un bol de thé.

Le yokai, c'est à dire le fantôme, l'esprit
ou le démon; est un type de créatures surnaturelles très présentes dans le folklore japonnais, et ce, depuis toujours. Ils ont évolués avec leurs époques, ils les ont traversées et ce sont adaptés. Aujourd'hui on les retrouve dans beaucoup de médias, tel les mangas, mais aussi dans des films qui leurs sont dédiés, les keidan eiga. Ils sont aussi particuliers au milieu où ils évoluent. Les citadins par exemple ne comprendront pas, où n’appréhendons pas de la même manière les histoires des fantômes ruraux. En quelque sorte il y a des fantômes des villes et des fantômes des champs.

Dans ce film les quartes histoires sont différentes avec une narration distincte, et n'ont en commun que quelques couleurs. Les fantômes sont divers et ont leurs propres buts, leurs propres raisons d’Être. Du coup la réalisation créé un mode de narration différent pour chacun. Ici, face à ce travail d'orfèvre nous avons
ressenti un crescendo. Je ne suis pas sure que tout le monde le perçoive comme cela. Mais s'il y a une organisation avérée, c'est celle des saisons. Chacune des histoires en symbolise une, et elles se succèdent en fonction de leur ordre. J'ai pris le parti de ne pas trop en parler, une histoire de fantôme dont on saurait les mécanismes, perdrait de son charme. Ce que j'ai apprécié dans la mise en scène et dans la réalisation, c'est qu'elles sont différentes pour les quatre histoires. Et que le dernier conte renvoi le spectateur à ce qu'est l'essence de l'art de raconter une histoire, de ce qu'est une histoire, et de ce que sont les fantômes. Et même plus il renoue le lien entre l'écrit et le cinéma. Conclusion parfaite.

Finalement il n'y a que quelques points qui sont constants 
Les couleurs, le bleu qui souvent souligne le moment où la scène vire au cauchemar. Et le rouge est présent symboliquement au milieu de chaque histoire un peu comme le disque solaire au milieu du drapeau japonais. 
Tant qu'à parler des couleurs arrêtons nous quelques minutes sur les sublimes décors peints. S'ils sont les plus visibles dans la femme des neiges. Ils nous ravissent pendant l'ensemble du film, leurs couleurs profondes, pourraient voler la vedette aux acteurs tant on a envie de se concentrer sur eux. Ce n'est pas un phénomène isolé. La photo de Yoshio Miyajima est d'une beauté et d'une maîtrise parfaite qui va de paire avec la réalisation et la mise en scène Kobayashi, avec ses cadres précis, ses images structurées et malgré tout poétiques. Cette alchimie nous plongent dans un mode entre féerie, et réalité,où le spectateur n'est pas étonné de la présence de «yokai»
Si j'ai aimé toutes ces histoires, j'avoue que Hoichi sans oreilles, qui a elle seule pourrait être un film m'a subjuguée. 
D'abord car c'est ambitieux, ici aussi on renoue avec un mode de narration ancestral, la transmission verbale où un musicien aveugle déclame une épopée en s'accompagnant d'un biwa, un luth. L'histoire s'ouvre sur cette épopée chantée. Une voix, un luth, des estampes; et une vraie immersion dans cet art que la majorité des gens (moi, la première ne connaissent que peu). Ce moment est hors temps, quasi hors film, hypnotique. Il est d'une puissance folle. Et lorsque l'histoire veut reprendre la main, elle arrive sans problème à le faire. C'est fascinant. Ce conte restera une très grosse émotion cinématographique.

Au début de ce billet je déclarais mon amour à ce film. Ce film qui lui même est une déclaration d'amour à la culture, à la manière dont on la transmet, et au respect et à la fidélité qu'on lui doit. Je suis tellement reconnaissante que l'on m'ait fait découvrir ce film. Alors merci Guillaume encore une magnifique rencontre que l'on te doit.

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