Happy Together

by - mai 28, 2019



Happy Together
de Wong Kar-wai

Un film de Wong Kar-wai est toujours un cadeau. C'est toujours une histoire qui va nous captiver et nous amener très loin, c'est toujours un travail sur la photo, l'image et la direction des acteurs qui fait mouche sur moi. C'est toujours un rendez-vous qui titille ce que j'aime dans le cinéma.

Le film s'ouvre sur une scène dans un noir et blanc sublime. Dans un lit, deux jeunes hommes s'enlacent et font l'amour. Ce sont fai et Po-wing. Cette scène est belle et aurait pu se passer partout, mais elle se situe en Argentine. Ce couple d'amoureux se séparent alors qu'ils essaient d'aller voir les spectaculaires chutes d'eau d’Iguaçu. Ce sont les soubresauts de cette relation que nous suivons dans ce film. C'est Fai, en voix off, qui nous en parle

Re-contextualisons un peu cette histoire. Elle se déroule en 1998. le Hong Kong qui nous est raconté est britannique, il n'a pas encore était restitué à la Chine. Il n'a donc pas encore le statut si particulier qui est le sien aujourd'hui. Mais cette « restitution » est déjà dans tous les esprits. Quand à l'Argentine où se situe le film elle est impactée par une crise économique majeure.
L'idée de ce film est venue à Wong Kar-wai à la lecture d'un livre nommé « The Buenos Aires Affair » sur lequel je n'ai rien trouvé. Mais j'ai presque envie de dire qu'étrangement ce n'est pas le plus important, le travail sur l'image est tellement colossal qu'il arrive presque à faire passer le reste pour secondaire.
Ce long métrage est pour moi la définition de ce qu'est l'audace au cinéma. La scène dont je vous ai parlé brièvement en est la parfaite illustration. La beauté de la photo, la beauté des corps, de leur union et de leurs élans, est spectaculaire. Mais cela n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. 
Je me demande, et j'essaie de me souvenir combien de films parlent d'un couple homosexuel, qu'il l'évoque comme un couple lambda, sans prisme différentiel comme la maladie. Combien de films s'attardent sur un couple homosexuel sans les immerger dans un monde hétéro pour calmer des esprits étriqués. Là on ne parle que de ces deux hommes, plus ou moins isolés car expatriés et vivant majoritairement dans leurs communautés mais sans être ostracisés non plus. Ils sont décalés, ces oiseaux de nuits, mais sans pour autant perdre prise avec ce qui se passe autour d'eux.
Leur histoire est une histoire que l'on retrouve finalement dans de nombreux récits. Si ce genre de relation a porté différents noms au court des siècles, et bien souvent en fonctions des hommes et des femmes qui en sont les sujets, aujourd'hui nous dirions que c'est une histoire dysfonctionnelle et toxique. Je ne sais plus comment on appelait ça dans les années 90, mais je suis à peu prés sure que ce n'était pas ces termes que l'on utilisait. Mais c'est leur lien  particulier que observe. Il se noue entre ces hommes qui ont du mal à s'aimer et pourtant qui sont tout l'un pour l'autre au début du film. Ces deux personnes s'aiment mais ils sont pris dans un cercle vicieux où alternent crises, déchirements, retrouvailles douloureuses, et une accalmie qui dure le temps d'une respiration. Accalmie qui n'est que le préambule de la prochaine crise. Voir ces hommes entravés dans leur relation ressemble à les admirer danser un tango, métaphore explicitée dans le film. Tango qui a souvent était dansé par les hommes entre eux, fin de la digression.
Ce récit dont je ne veux rien spoiler est la somme de ces moments et de leurs conséquences. Mais il
nous parle aussi de Fai, de qui il est, et de son évolution. On le voit devenir un homme finalement.

Ce qui est vraiment extraordinaire dans ce film est le travail sur l'image. Et c'est le moment de se prosterner devant le ticket Christopher Doyle et Wong Kar-wai !! En cela ce film est une expérience. Je n'arriverai pas à retracer la maestria et la maîtrise dont il font preuve, mais je vais tacher de vous faire envie.
Toute une première partie est dans un très joli noir et blanc, ou gris et blanc nous débattons toujours du sujet avec le key maker de ce blog. Moment où les plans sont soignés, rangés , quasi géométriques, presque classés poliment dans un album photos. Ils évoluent et la couleur s'invite et est de plus en plus présente, pour devenir quasi frénétique. Elle est saturée et vous explose au visage. Sa force sa chaleur , ses accords, la lumière qui l'impacte. Elle imprègne des images colorées et lumineuses sur vos rétines qui reviennent à chaque évocation du titre de ce long métrage. Puis elle reviennent doucement à la normale. Les couleurs s'accordent à nouveau de manières improbables comme dans un bar ou avec plus de justesses. Je ne vous ferai pas l'affront de vous faire croire que ce travail est là uniquement pour le plaisir, ils ont un écho particulier dans la ligne chronologique.
Je parlerai aussi de scènes autour du foot qui jalonnent le film, et plus précisément de celles où intervient Fai. Depuis Rashomon les cinéastes filment régulièrement le soleil de face, là Wong Kar-wai se sert de cet élément et de ces moments pour nous parler de Fai, de ce qu'il cache et qu'il ressent. Et créé une ambiance et une image incroyable de poésie et de force.

Mais la patte Kar Waienne est partout elle dans ses cadres et sa manière de filmer caméra à l'épaule. Elle est dans ses scènes de rues filmées comme lui seul sait le faire. Et elle est même en germe, créant ici la première scène « de taxi ». cette manière de filmer les gens pendant une course, on la retrouve dans in the mood for love puis 2049. Scènes qui sont devenus mythiques.
On notera aussi que ce travail extraordinaire sur l'image, prend une autre dimension lorsqu'on l'éclaire avec la notion et le discours sur l'écoute qui est développée dans le film.
Nous avons vu un certains nombre de longs métrages issus de la collaboration de Wong Kar Wai et de Christopher Doyle. Ils sont toujours magnifiques et intelligents; mais ce film est différent et ça l'enrichit. ça lui offre un supplément d’âme.

Les acteurs sont spectaculaires. Tony Leung est toujours très bon, il est présents dans tous les films de ce cinéaste que j'ai vu. J'ai la certitude qu'il est capable de tout jouer. Sa beauté et son charisme le rende toujours  sympathique. Ici il est incroyable. Il permet au cinéaste de nous amener très loin. Il y a une scène autour d'un magnétophone qui va me suivre longtemps, et qui pour moi parle du talent insolant de cet homme. C'est souvent dans ces scènes quasi immobiles (comme devant un miroir) que l'on peut jauger un acteur ou une actrice. Et là, Tony Leung m'a bouleversée.

Leslie Cheung joue Po-Wing. Il avait un visage difficile à interpréter, ce qui le rend parfait pour ce rôle. Sa silhouette gracile, et fragile accentue le coté instable et immature de son personnage. Lors des moments de danse, il arrive à synthétiser et exprimer tout ce que ressent Po-Wing et qu'il n'arrive pas à expliquer.
Il y a un autre personnage qui traverse ce récit, je ne vous en ai pas parlé sciemment, dans cette critique mais il a une vraie importance dans l'histoire. Il est porté par Chang Chen. Cet acteur est lumineux et solaire. Son jeu qui comprend plein de mimiques, son allure longiligne, offre à son personnage une personnalité, une aura bienveillante qui a toute sa place dans ce récit.

Ce film est une œuvre d'art à lui seul, et c'est probablement pour cela qu'il ne plaira pas à tout le monde. L'audace et l'inventivité sont partout. Si ce film ne détrônera pas In the mood for love et Chungking express dans mon cœur. Il a trouvé sa propre place et va continuer à me fasciner longtemps



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