Happy Together
de Wong Kar-wai
Un
film de Wong Kar-wai est toujours un cadeau. C'est toujours une
histoire qui va nous captiver et nous amener très loin, c'est
toujours un travail sur la photo, l'image et la direction des acteurs
qui fait mouche sur moi. C'est toujours un rendez-vous qui titille ce
que j'aime dans le cinéma.
Le
film s'ouvre sur une scène dans un noir et blanc sublime. Dans un
lit, deux jeunes hommes s'enlacent et font l'amour. Ce sont fai et
Po-wing. Cette scène est belle et aurait pu se passer partout, mais
elle se situe en Argentine. Ce couple d'amoureux se séparent alors
qu'ils essaient d'aller voir les spectaculaires chutes d'eau d’Iguaçu. Ce sont les soubresauts de cette relation que nous
suivons dans ce film. C'est Fai, en voix off, qui nous en parle
Re-contextualisons
un peu cette histoire. Elle se déroule en 1998. le Hong Kong qui
nous est raconté est britannique, il n'a pas encore était
restitué à la Chine. Il n'a donc pas encore le statut si
particulier qui est le sien aujourd'hui. Mais cette « restitution »
est déjà dans tous les esprits. Quand à l'Argentine où se situe
le film elle est impactée par une crise économique majeure.
L'idée
de ce film est venue à Wong Kar-wai à la lecture d'un livre nommé « The Buenos Aires Affair » sur lequel je n'ai rien
trouvé. Mais j'ai presque envie de dire qu'étrangement ce n'est pas
le plus important, le travail sur l'image est tellement colossal
qu'il arrive presque à faire passer le reste pour secondaire.
Ce long métrage est pour moi la définition de ce qu'est l'audace au cinéma. La
scène dont je vous ai parlé brièvement en est la parfaite
illustration. La beauté de la photo, la beauté des corps, de leur
union et de leurs élans, est spectaculaire. Mais cela n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Je me demande, et
j'essaie de me souvenir combien de films parlent d'un couple
homosexuel, qu'il l'évoque comme un couple lambda, sans prisme différentiel comme la maladie. Combien de films s'attardent sur un
couple homosexuel sans les immerger dans un monde hétéro pour
calmer des esprits étriqués. Là on ne parle que de ces deux
hommes, plus ou moins isolés car expatriés et vivant
majoritairement dans leurs communautés mais sans être ostracisés non plus. Ils sont décalés, ces oiseaux de nuits, mais sans pour
autant perdre prise avec ce qui se passe autour d'eux.
Leur
histoire est une histoire que l'on retrouve finalement dans de
nombreux récits. Si ce genre de relation a porté différents noms
au court des siècles, et bien souvent en fonctions des hommes et des
femmes qui en sont les sujets, aujourd'hui nous dirions que c'est une
histoire dysfonctionnelle et toxique. Je ne sais plus comment on
appelait ça dans les années 90, mais je suis à peu prés sure que
ce n'était pas ces termes que l'on utilisait. Mais c'est leur lien particulier que observe. Il
se noue entre ces hommes qui ont du mal à s'aimer et pourtant
qui sont tout l'un pour l'autre au début du film. Ces deux personnes
s'aiment mais ils sont pris dans un cercle vicieux où alternent
crises, déchirements, retrouvailles douloureuses, et une accalmie
qui dure le temps d'une respiration. Accalmie qui n'est que le
préambule de la prochaine crise. Voir ces hommes entravés dans leur
relation ressemble à les admirer danser un tango, métaphore
explicitée dans le film. Tango qui a souvent était dansé par les
hommes entre eux, fin de la digression.
Ce
récit dont je ne veux rien spoiler est la somme de ces moments et de
leurs conséquences. Mais il
nous
parle aussi de Fai, de qui il est, et de son évolution. On le voit
devenir un homme finalement.
Ce
qui est vraiment extraordinaire dans ce film est le travail sur
l'image. Et c'est le moment de se prosterner devant le ticket
Christopher Doyle et Wong Kar-wai !! En cela ce film est une
expérience. Je n'arriverai pas à retracer la maestria et la maîtrise dont il font preuve, mais je vais tacher de vous faire
envie.
Toute
une première partie est dans un très joli noir et blanc, ou gris et
blanc nous débattons toujours du sujet avec le key maker de ce blog.
Moment où les plans sont soignés, rangés , quasi géométriques,
presque classés poliment dans un album photos. Ils évoluent et la
couleur s'invite et est de plus en plus présente, pour devenir quasi
frénétique. Elle est saturée et vous explose au visage. Sa force
sa chaleur , ses accords, la lumière qui l'impacte. Elle imprègne
des images colorées et lumineuses sur vos rétines qui reviennent à
chaque évocation du titre de ce long métrage. Puis elle reviennent
doucement à la normale. Les couleurs s'accordent à nouveau de
manières improbables comme dans un bar ou avec plus de justesses. Je
ne vous ferai pas l'affront de vous faire croire que ce travail est
là uniquement pour le plaisir, ils ont un écho particulier dans la
ligne chronologique.
Je
parlerai aussi de scènes autour du foot qui jalonnent le film, et
plus précisément de celles où intervient Fai. Depuis Rashomon les
cinéastes filment régulièrement le soleil de face, là Wong Kar-wai se sert de cet élément et de ces moments pour nous parler de
Fai, de ce qu'il cache et qu'il ressent. Et créé une ambiance et
une image incroyable de poésie et de force.
Mais
la patte Kar Waienne est partout elle dans ses cadres et sa manière
de filmer caméra à l'épaule. Elle est dans ses scènes de rues
filmées comme lui seul sait le faire. Et elle est même en germe,
créant ici la première scène « de taxi ». cette
manière de filmer les gens pendant une course, on la retrouve dans
in the mood for love puis 2049. Scènes qui sont devenus mythiques.
On
notera aussi que ce travail extraordinaire sur l'image, prend une
autre dimension lorsqu'on l'éclaire avec la notion et le discours
sur l'écoute qui est développée dans le film.
Nous
avons vu un certains nombre de longs métrages issus de la collaboration de Wong Kar Wai et de Christopher Doyle. Ils sont
toujours magnifiques et intelligents; mais ce film est différent et
ça l'enrichit. ça lui offre un supplément d’âme.
Les
acteurs sont spectaculaires. Tony Leung est toujours très bon, il est
présents dans tous les films de ce cinéaste que j'ai vu. J'ai la certitude qu'il est capable de tout jouer. Sa beauté et son charisme
le rende toujours sympathique. Ici il est incroyable. Il
permet au cinéaste de nous amener très loin. Il y a une scène
autour d'un magnétophone qui va me suivre longtemps, et qui pour moi
parle du talent insolant de cet homme. C'est souvent dans ces scènes
quasi immobiles (comme devant un miroir) que l'on peut jauger un
acteur ou une actrice. Et là, Tony Leung m'a bouleversée.
Leslie Cheung joue Po-Wing. Il avait un visage difficile à interpréter, ce
qui le rend parfait pour ce rôle. Sa silhouette gracile, et fragile
accentue le coté instable et immature de son personnage. Lors des
moments de danse, il arrive à synthétiser et exprimer tout ce que
ressent Po-Wing et qu'il n'arrive pas à expliquer.
Il y
a un autre personnage qui traverse ce récit, je ne vous en ai pas
parlé sciemment, dans cette critique mais il a une vraie importance
dans l'histoire. Il est porté par Chang Chen. Cet acteur est
lumineux et solaire. Son jeu qui comprend plein de mimiques, son
allure longiligne, offre à son personnage une personnalité, une
aura bienveillante qui a toute sa place dans ce récit.
Ce
film est une œuvre d'art à lui seul, et c'est probablement pour
cela qu'il ne plaira pas à tout le monde. L'audace et l'inventivité
sont partout. Si ce film ne détrônera pas In the mood for love et
Chungking express dans mon cœur. Il a trouvé sa propre place et va
continuer à me fasciner longtemps
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