GREEN BOOK
de Peter Farrelly
1962
Tony « Lip » Vallelonga fait le coup de poing dans les
bars le soir. Il est videur, et beau parleur. Mais lorsque le jour se
lève, il rentre chez lui pour retrouver sa superbe femme et ses
enfants. A quelques mois de la fin d'année le club où il travaille
est fermé administrativement pour trois mois. Et il se retrouve sans
emploi. Connu pour sa propension à régler des "problèmes" son nom
est soufflé au docteur Don Shirley, virtuose du piano, qui doit
partir en tournée pour trois mois dans le sud des Etats unis, avec
son lot de concerts privés dans les riches demeures. Exercice
dangereux, car cette homme est un afro-américain dans une société
du sud encore ségrégationniste
Si ce film est intelligemment réalisé, s'il vous aspire tout de suite
dans son histoire, installant petite touche par petite touche le
racisme quotidien passant de la bêtise crasse à la haine érigée
en règle de vie; je pense qu'il est bon de contextualisé la
politique des Etats-Unis en quelques mots. En 1962 John Fitzgerald Kennedy est
le président. Il mène un combat pour la « desegregation »
depuis 1960. Mais la mise en œuvre de sa politique met du temps à
s'imposer. L'un des exemples les plus représentatifs de ce problème est une décision de 1961, où était décrété que dans les programmes
financés par l'Etat, lors du recrutement le choix du personnel ne
devrait plus être soumis à discrimination. Cependant ce ne fut
réellement effectif qu'en 1965.
Cette politique aboutit en 1964 avec la promulgation du "Civil Right
Act", qui se déclinent sous plusieurs chapitres. Mais ce n'est qu'une
petite pierre à un grand édifice, le "Voting rights act" ne passera
qu'en 1965, et ce n'est que fin 1967 que furent abroger toutes les
lois qui interdisaient les mariages mixtes.
1962
est une période à deux vitesses. Une période de lutte intense, des
disparités sont extrêmes selon que vous soyez blancs ou pas,
citadins ou pas, habitants au nord ou au sud des Etats unis.
Maintenant
que le décor est planté on est prêt à affronter ce que dit ce
film. Car
fortement teinté de comédie, ce film n'est pas pour autant anodin
ou gratuit. Parlons
de la comédie, la grande majorité des traits d'humour de ce film
est basé sur le décalage. Le
décalage de ces deux hommes dans leurs manières d’être, le coté très gouailleur de Lip, et le coté tout en retenu du docteur; entre
le poly-doctorant qu'est le musicien, et ce petit bonhomme du Bronx
qui a passé sa vie dans les boites de nuits. Et malgré tout il n'y
a jamais de malveillance.
Les
scènes qui se déroulent dans la voiture sont un bel exemple. La
caméra est posée d'un coté ou de l'autre, ne sautant que rarement
de l'un à l'autre. A chaque scène son point de vue, dans leurs
échanges dans leurs joutes verbales aussi. Si parfois la caméra se
déplace sur le capot ce n'est que pour embrasser les deux, et
exprimer un statut quo. L'ensemble
du film est à l'image de ces échanges dans la voiture car ils sont
la clé de l'ouverture de ces hommes, chacun s'interrogeant sur
l'autre, chacun fait un pas vers l'autre. Jusqu'à ce qu'ils
finissent par cheminer ensemble, duo improbable pour une amitié
forte.
Ce
film fonctionne avant tout sur le duo d'acteurs. Mahershala Ali est
le docteur Don Shirley, pianiste prodigieux, mais surtout poly
doctorant, polyglotte, extrêmement raffiné. L'oscar qu'il a gagné
pour ce rôle n'est pas usurpé. Il l'incarne jusqu'au bout, il donne
corps à son talent, à son travail. Il devient ses combats, et
dévoile ce qui le torture avec pudeur et force. Viggo Mortensen,
qui est extraordinaire en homme qui a passé sa vie dans les night-clubs. Homme courtisé
et respecté par les mafieux, mais qui décline soigneusement leurs
offres d'emplois. Son jeu tout en rondeur est finalement moins
ponctué d'éclats que celui de son collègue, mais il incarne
parfaitement cette homme qui prend conscience de ce que revêt réellement cette ségrégation, et qu'il participe à un combat. Un
combat dans les salons feutrés des belles et riches demeures. Mais
un combat d'une violence morale rare.
Si
vous lisez ce qui est écrit sur ce film, vous trouverez que c'est un
buddy-movie, ou un road-movie, je serai bien en peine d'écrire le
contraire, mais c'est restrictif. On peut juste
souligner que les emprunts à ces formes permettent de rythmer ce
long métrage qui de fait n'a aucun temps mort, et peut switcher d'un
moment d'une extrême émotion, à un éclat de rire. Parfois faisant coexister les deux, comme par exemple lors de l'écriture des
lettres envoyées à l'épouse de Tony. D'autres y voient une œuvre
taillée pour les oscars, probablement, vu qu'il ramène trois
statuettes dont celle du meilleur film. Mais c'est pour moi,
l'incarnation de la théorie de Sartre sur le garçon de café. Avec
ces deux hommes, chacun surjouant qui il est; ce perdant même parfois
dans les images qu'ils renvoient. On y retrouve toutes les notions
que développe le philosophe: l’être en soi (l'essence d'une chose), l’être pour soi (notre aptitude à nous connaître), la mauvaise foi
(pour Sartre la capacité de se mentir sur qui on est). Et de voir
ces hommes finalement se comprendre, s'entendre, devenir amis n'est
que plus touchant encore.
La
réalisation est académique pour certains, soignée pour d'autres,
en tout cas il est difficile d’être critique avec la facture de ce
film. De la photographie lumineuse, à son montage qui est pour
beaucoup dans les émotions qui nous traversent, à la ost qui ma
directement conduite sur youtube une fois que l'on est rentré du
cinéma. Tout est finement brodé et pensé, pour à la fois nous
parler de cet homme en lutte, et pour nous faire passer un très beau
moment.
Je
ne suis pas sure d'avoir assez insisté sur le fait que ce film est
vraiment drôle, mais que ça ne m'a pas empêché de pleurer devant.
Est-ce un feel good movie? Je ne suis pas sure, car si le propos est
plein d'espoir et bien sur galvanisant, quand on voit où en est
notre monde quasiment soixante ans après, on se demande si
l'ouverture à l'autre n'est pas l'apanage de personnes d'exceptions plutôt que le propre de l'Homme.
J'ai
adoré ce film, je suis sortie avec un grand sourire. Et c'est de ça
que j'ai décidé de parler. Je suis consciente que des voix
dissidentes se font entendre à propos du scénario. Je sais que la
famille du docteur Don Shirley n'a pas été consultée et qu'elle a
boycotté le film, je sais ce qu'a dit le fils de Tony Vallelonga,
oscarisé pour le scénario. Si je n'arrive pas à comprendre, ça
n'impacte pas mon ressenti sur le film. Est ce par ce que bien
encadré par la production, ce film reste une
ode à la tolérance et à l'ouverture à l'autre malgré tout? Ou
est-ce que l'ayant vu avant que toute la boue remuée par les oscars,
comme chaque année, ne vienne ternir son message?
Ce
film est une œuvre engagée, sur un homme engagé, dont le message
devrait nous inspiré, le tout dans la bonne humeur
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