Le Voyage de Chihiro

by - mars 01, 2019


Quand j'étais un enfant, du moins ce que je m'en rappelle désormais, j'ai toujours eu cette impression de n'être jamais écouté ! Ce qui est pire le jour où on perd des êtres auxquels on tient, parce que l'on sait ! Mais les adultes avec toute la sagesse qui les caractérisent nous maintiennent malgré tout dans l'ignorance, nous renvoyant inlassablement à ce que nous sommes, des enfants. Cependant, quand on est un enfant on veut aussi être les héros de l'histoire afin d'être considéré. Pour ma part je m'en suis toujours tenu à mon imagination et plus tard au cinéma. Un médium qui a pris plus d'une fois le parti pris de l'enfance et de sa puissance évocatrice. Une chose qu'ont compris un certain nombre de cinéastes, qu'ils soient dans le film classique ou le film d'animation ! Récemment beaucoup m'ont touché, comme « The Book of Life », « Rise of the Guardians » et « Kubo and the two strings » qui parle sans détour de deuil, de mort, de filiation et de tradition !

Mais au-delà des thèmes abordés, ces films sont aussi des voyages fabuleux, dans des imaginaires foisonnant et différent que des cinéastes doués ont su faire exister. A ce rayon là, Hayao Miyazaki se pose parmi les meilleurs et la promesse de son film « Le Voyage de Chihiro » est largement tenue.



« Chihiro, dix ans, a tout d'une petite fille capricieuse. Elle s'apprête à emménager avec ses parents dans une nouvelle demeure. Sur la route, la petite famille se retrouve face à un immense bâtiment rouge au centre duquel s'ouvre un long tunnel. De l'autre côté du passage se dresse une ville fantôme. Les parents découvrent dans un restaurant désert de nombreux mets succulents et ne tardent pas à se jeter dessus. Ils se retrouvent alors transformés en cochons. Prise de panique, Chihiro s'enfuit et se dématérialise progressivement. L'énigmatique Haku se charge de lui expliquer le fonctionnement de l'univers dans lequel elle vient de pénétrer. Pour sauver ses parents, la fillette va devoir faire face à la terrible sorcière Yubaba, qui arbore les traits d'une harpie méphistophélique. »

« Le Voyage de Chihiro » est un immense succès critique ! Il a eu l'ours d'or du meilleur film en 2002 à la Berlinale, ainsi que l'oscar en 2003 du meilleur film d'animation. C'est aussi pour Hayao Miyazaki son plus gros succès public, que cela soit au Japon, que dans le monde. Un succès grandement mérité, mais qui ne m'a pas autant plu que ce que j'escomptais. Cependant « Le Voyage de Chihiro » est un excellent film malgré tout, qui m'a touché, fait frissonner, rire, pleurer, mais aussi penser, parce que tout comme Chihiro on se demande si c'est vraiment arrivé.


Hayao Miyazaki est un perfectionniste ainsi qu'un incroyable bourreau de travail. En 1997 après la sortie de « Princesse Mononoké », il a voulu prendre sa retraite, harassé par la production du film. Mais voilà la mort prématuré de son successeur désigné Yoshifumi Kondo un an après le pousse à replonger. Il trouve par ailleurs un surplus de motivations en pensant aux filles d'un ami qu'il a rencontré, avec qui depuis il passe ses vacances. Des jeunes filles d'une dizaine d'années pour lesquelles il souhaite consacrer un film avec une héroïne qui leur ressemble !

C'est ainsi qu'on découvre une enfant, un peu endormie et bougonne, qui râle car ils déménagent ! Elle n'est pas une princesse, ni une sorcière, c'est juste une enfant qui râle sur la banquette arrière de la voiture de ses parents. Avant de stopper dans un cul de sac ou un mystérieux bâtiment étrange se dresse devant eux. Les parents s'engouffrent dans le tunnel devant eux sans trop réfléchir, en laissant derrière la jeune Chihiro, réticente à l'idée de l'inconnu. À leurs grande surprise, ils trouvent un ancien parc à thème abandonné. Et pendant que Chihiro explore le reste du parc, son père se rue sur la nourriture qu'il y a en abondance sur le bar d'un restaurant, s'en se poser avec sa femme la question cruciale ! Qu'elle est cet endroit ?. Alors que la lumière décline, un jeune garçon la somme de partir avant que la nuit ne tombe définitivement. Effrayée, Chihiro part chercher ses parents, quand stupéfaite elle les découvre transformés en cochons, déboussolée elle se retrouve prostrée dans un coin. Sans le savoir elle vient de rentrer dans le monde des esprits.

Miyazaki nous délivre un conte initiatique et poétique éminemment puissant ou la jeune « Chihiro » ne sera après de multiples épreuves plus jamais la même. La petite fille doit apprendre les codes de ce monde, car les circonstances l'y obligent, pas pour y rester, mais pour mieux se relever et ne pas baisser les bras. Des bras qu'elle devra aussi tendre envers l'autre. Dépouillée de ce qu'elle était en rentrant derrière ses parents par Yubaba, elle connaîtra une renaissance symbolique, consciente, après moult aventures des innombrables traditions qui font battre le cœur du Japon. C'est un vrai travail de mémoire qu'il nous livre, doublé d'une charge contre le capitalisme dans le sens le plus large.


L'établissement de bains de « Yubaba », le « Onsen », à tout de l'entreprise qui peu à peu vous avilit la tête, le corps et l'esprit, en enlevant de vous ce qui vous définit, comme le nom par exemple ! C'est le symbole d'un marché du travail ou dire « Non » n'est plus possible désormais. Un monde sans pitié ou la société de consommation te fait oublier tout sens de l'intérêt commun. Le personnage de « Sans-Visage » est caractéristique des travers de la société de consommation. Il ère sans but dans l'établissement de Yubaba depuis que Chihiro l'a invité, en offrant des pépites d'or à ceux qui les acceptent. Mais cet être étrange n'a à aucun moment ses désirs qui sont assouvis, engloutissant par frustration les personnes qui se présentent à lui. C'est le révélateur d'une société qui ne pense qu'à consommer, encore et encore, simplement parce qu'une énième publicité lui dira de le faire; sans savoir si elle a besoin de ce qu'elle achète ainsi que de l'impact que cela peut avoir sur la planète. C'est un appel profond à la réflexion que Miyazaki nous propose, notamment sur la façon dont nous vivons et envisageons l'avenir sur une planète que l'on a tendance à bien trop martyriser.


Cette réflexion que le réalisateur développe tout au long de son film, il la traduit par l'image avec d'un côté l'épure et de l'autre quelque chose de plus riche visuellement. C'est ainsi qu'on distingue les deux voies qui s'offrent à Chihiro, d'un côté la réflexion et de l'autre l'action. Un parcours riche de sens, où les tunnels et autres trains seront des endroits de passages et de transformations aussi bien physique que spirituelle, pendant que l'établissement de « Yubaba » au centre sera le terrain idéal pour faire vivre des péripéties à Chihiro. Des lieux qui sont tour à tour simple et solennel comme l'entrée du parc, ou plus luxuriant et foisonnant comme le « Onsen » qui transpire l'opulence, avec un intérieur savamment détaillé et sophistiqué, tant dans les formes que dans les symboles que l'on y trouvent. Le réalisateur use de tout son talent pour narrer cela avec intelligence, en alternant les moments de grâces, d'effrois et d'enchantements. Où une enfant avec toute l'énergie qui l'anime, bouleversera ce monde. Bousculant l'ascenseur social et révélant les vices de la société humaine d'où elle vient !

Et cela lors de scènes en apparence anodines ! Par exemple, au début quand le père parle d'une rivière asséchée, ou lorsque les parents (surtout le père) se ruent sur la nourriture qui ne leurs étaient pas destinés. Ou pendant des instants plus graves, comme lorsqu'un dieu, un tas de boue littéralement, se rend chancelant chez Yubaba pour se laver, on le pense négligeant alors qu'il n'en est rien, car c'est la victime de la pollution que provoque les êtres humains; enfin lorsque Chihiro révèle à Haku son véritable prénom, c'est déchirant de beauté, car au-delà de l'acte plein de bonté de notre héroïne, cela marque le fossé qui existe entre nous, les traditions et la planète que nous oublions. Des moments pleins de charmes et d'inspirations, une fois de plus sublimés par l'immense talent et la partition irréprochable de Joe Hisaishi, ou tout l'art de H. Miyazaki a créé des univers foisonnant, rayonne une fois encore …

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