1960 - 19691962Akira KurosawaAsieCritiqueTakako IrieTakashi ShimuraTatsuya NakadaiToshiro MifuneYuzo Kayama
Sanjuro
Dans
l’œuvre de Akira Kurosawa, les influences sont nombreuses car
c'est un auteur qui est aussi bien marqué par la culture des autres,
que par sa propre culture. En cela il n'y a rien d'étonnant à
retrouver une multitude d'auteurs qui traverse sa filmographie comme
des auteurs russes (Gorki, Dostoïevski), anglais (Shakespeare),
belge (Simenon) ou encore américain (Ed McBain). Mais cela ne
s’arrête pas à ça, il y a aussi l'influence du théâtre no, du
kabuki, des films d'époques typiquement japonais (Jidai-geki) ou
encore celle du cinéaste américain John Ford, connu en partie pour
ces westerns. Et on peut dire que cette admiration, Akira Kurosawa
lui rend bien ! Du western on en retrouve dans « Les Sept
Samouraïs », mais surtout dans le diptyque
« Yojimbo/Sanjuro ».
C'est
le seul exemple où vous trouverez une suite à un film du maître,
car « Yojimbo » fut un succès colossal et cela bien au
delà des espérances de la Toho. Et lorsque le studio revient à la
charge, avec comme objectif une suite, A.K reprend un projet
antérieur à Yojimbo, qu'il adapte à la demande et qu'il réalise.
« Sanjuro » dépassa très vite le succès de son aîné,
si bien que quelques années plus tard, cela à donné des idées à
un certain Sergio Leone, qui remake l'histoire de ce rônin au
comportement si singulier ( En se basant sur le premier des deux
films, tout en oubliant de créditer l'auteur du script et Akira
Kurosawa).
« Le
samouraï rônin Sanjuro Tsubaki prend sous son aile une bande de
jeunes guerriers inexpérimentés et les aide à déjouer un complot
contre le chambellan. Jouant de ruse avec les conspirateurs, Sanjuro
se révélera un tacticien hors pair, avant de se confronter avec le
redoutable Muroto, bras droit du chef des comploteurs. »
Lorsque
j'ai découvert « Yojimbo », ce qui m'a le plus marqué
au delà du film en lui même, c'est la naissance du personnage
« Sanjuro » ! Ce rônin (Un samouraï sans Maître)
est un électron libre qui voyage au grès de ses envies et qui
rééquilibre quand l'envie lui prend la balance de la justice. Il
est malin, nonchalant, redoutable et terriblement bien incarné par
la muse du maestro Toshiro Mifune. Bref un nouveau personnage
inoubliable, qui rejoint sans sourciller, le bandit Tajomaru,
l'intrépide Kikuchiyo, le Général Rokurota Makabe et l'immense
Kyojio Nilde (Akahige/Barberousse), tous interprétés par Toshiro
Mifune. Et à chaque nouvelle découverte, le regret était immense,
de ne pas voir un autre film, avec l'un de ces personnages, pourtant
c'est ce qui est arrivé, avec « Sanjuro », sortie 1 ans
après le premier volet « Yojimbo », l'audacieux ronin
était de retour.
Pour
mettre en œuvre le désir de la Toho, qui souhaitait cette suite,
Akira Kurosawa reprend son idée d'adapter le roman « Peaceful Days
» de l'auteur Shugoro Yamamoto (Cet auteur il le retrouvera pour
deux autres adaptations, l'une en 1965 (Barberousse) et l'autre en
1970 (Dodes'kaden)). C'était un projet qu'il avait mené avant
Yojimbo et le travail était bien avancé, car des acteurs étaient
castés, ainsi que le réalisateur (Hiromichi Horikawa), tandis que
lui ne devait que le produire. Puis il y a eu Yojimbo avec le succès
qu'on lui connaît, où A.K pioche déjà des éléments du livre
pour son film, avant d'y retourner pour son « Sanjuro ».
Et pour écrire son film, il s'entoure de deux scénaristes, deux
collaborateurs réguliers, avec Hideo Oguni (Vivre, Les 7 Samouraïs,
Le Château de l'Araignée) et Ryuzo Kikushima (Le Château de
l'Araignée, La Forteresse Cachée) pour faire de cette suite, une
grande suite.
Car
il est évident que pour le réalisateur, le piège, c'est de se
répéter et livrer un « Yojimbo » bis ! Pour ça
les scénaristes et lui-même créent une intrigue bien plus légère,
avec beaucoup d'humour, notamment amené par l'acteur Toshiro Mifune,
toujours aussi à l'aise dans le rôle. Mais là où le scénario va
se démarquer, c'est par la caractérisation de son personnage
principal, qui si il est toujours aussi fort et malin, se montre sous
un jour bien plus humain. Et ça des le début de l'intrigue, quand
Sanjuro, sort de la pénombre et propose son aide, non sans avoir
dressé avec humour un bilan de la situation. Pour ainsi devenir le
« père » spirituel de 9 samouraïs certes valeureux,
mais un brin naïf.
Sanjuro
les aide, oui mais pas à la manière dont il agit dans « Yojimbo » !
Le but c'est qu'aucun des 9 samouraïs ne meurent, et c'est ainsi
qu'il est le bras qui guide leurs actes, qui les poussent, qui les
retient ou qui les giflent quand ils se trompent de voie. Sanjuro ne
pourfend plus la vie gratuitement, il la préserve et l'on retrouve
là, le Akira Kurosawa humaniste, celui qui sert d'exemple, de
mentor, ou encore de professeur. Il raconte le récit d'un homme
d'exception, a la simplicité désarmante qui va guider les jeunes
pousses dans ce monde fait d'infamie, un vrai héros. Tsubaki Sanjuro
comme il se fait appeler, est loin d’être cynique, car tout comme
le pseudo dont il s'affuble, il cache autant sa propre identité
qu'il protège sa personne, seul sa générosité transparaît, avec
force et désinvolture. Si dans « Yojimbo » c’était un
anti-héros, on découvre ici le héros qu'il y a derrière
« Sanjuro », celui qui se sacrifie pour préserver les
autres.
A
cela, il faut ajouter la thématique du double, que l'on retrouve
régulièrement chez Kurosawa. Cette fois il agit sur trois niveaux
distinct. La plus simple, c'est que « Sanjuro » est le
miroir de « Yojimbo » ou chaque élément de ce film voit
une scène de l'autre lui répondre. L'humanité remplace la
fatalité, la mort laisse la place à la vie et le héros,
l'anti-héros du premier film, avec comme point final un homme qui ne
veut plus ôter la vie gratuitement. Ensuite il y a les différences
entre les deux personnages « Sanjuro », l'un est presque
mutique, l'autre communique, l'un tue pour se faire remarquer,
l'autre aide des hommes a se faire remarquer, l'un se moque de la vie
quand l'autre souhaite la préserver. Et enfin, il y a celle que
cultive « Sanjuro » avec « Hanbei », son
rival, un homme aussi fort que lui qu'il a appris à connaître et à
respecter, où leur relation culminera dans un duel aussi tragique
que bref. Un sursaut de violence, involontairement crue et graphique
qui vient clore un film, en rappelant qu'il est toujours plus facile
de mettre fin à une vie que de la donner.
Et
c'est cet équilibre subtil, entre ce qu'est un personnage et ce
qu'il devient que le script de Hideo Oguni et Ryuzo Kikushima
déploie toute sa force. Ce dont Akira Kurosawa s'empare pour nous
régaler pendant près d'une heure trente, avec un Toshiro Mifune qui
bat la mesure ! La réalisation est d'une excellente qualité,
les cadres sont choisis avec soin, chaque composition d'image confère
au sublime, qui plus est magnifiée par la photographie de Takao
Saito. L'utilisation de l'espace est optimum, on ne perd jamais
d'idée l'endroit où l'on se trouve, que ça soit au début dans la
foret ou lorsque l'action se concentre entre les deux résidences,
celle où se trouve Sanjuro et celle de sa cible; le jeu constant
avec la profondeur de champ accentue la proximité entre les
personnages et l'utilisation des noirs à l'écran comme lors de la
première apparition de Sanjuro à l'écran est a la fois étonnante
et totalement iconique. Le montage, réalisé avec soin, rythme
idéalement les scènes, comme le film et la musique de Masaru Sato
accompagne ça avec talent . Quant au casting, si on note la présence
Yuzo Kayama, Takashi Shimura ou encore Takako Irie, c'est bien la
présence de l'illustre Toshiro Mifune et de l'impressionnant Tatsuya
Nakadai qui ont retenu mon attention, deux acteurs de talents qui
font vivre ce film avec une sincérité qui fait énormément
plaisir.
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