Rashomon

by - mai 15, 2018


RASHOMON
d'Akira Kurosawa

En l'an 750 trois hommes s’abritent sous une porte (rasho). Deux d'entre eux, un bûcheron et un moine bouddhiste, viennent d’être les témoins d'un procès, et ont assisté à l’exécution d'un coupable. Le troisième passe de l'un à l'autre pour savoir ce qui les a marqué tant que ça. Car sous cette porte des démons des gens se suicident tous les jours.

Shinobu Hashimoto s'appuie sur deux nouvelles d'Akugatawa Ryuhosuke pour écrire le scénario.
Il le situe en l'an 750, le japon qui est dans l'ère Nala, est déchiré par une guerre civile. La pauvreté est partout et c'est ce qui frappe en premier dans ce film. Les haillons avec lesquels sont habillés les trois premiers protagonistes et l'état de la porte posent tout de suite contexte .
Akira Kurosawa lui remet en cause sa toute jeune carrière. En 1952 lorsque ce film sort, les états unis ont levé la censure qui allait de paire avec l'occupation du Japon après la seconde guerre mondiale. Censure qui interdisait de faire des films historiques. Lui, il veut revenir aux racines de son art. Il lui semble avoir oublié ce qui faisait la magie des films muets,il perçoit une perte de beauté et pour la retrouver il ressent le besoin de retourner vers ce qui est l'essentiel d'un film.
Il prend la décision de faire un Jida-geki, c'est un genre japonnais que l'on retrouve au théâtre, à la télévision et au cinéma. Il raconte des histoires qui se déroulent dans le japon médiéval.
Dans ce cadre la mise en scène, prend une toute autre importance. Les acteurs adoptent un jeu très marqué, et très théâtral.
Celui qui est le plus remarquable dans cet exercice est Toshiro Mifune qui interprète le brigand Tajomaru. Il réussi à intégrer les particularités de l'interprétation théâtrale pour composer son personnage. Ça passe par sa démarche sautillante et la fluidité de son corps qui contraste tant avec celle du samouraï, à sa manière declaquer les mouches ou les puces. 
Le samouraï est interprété par Masayuki Mori, il est la raideur incarnée. Sa silhouette est une composante incroyable du film. Il est l'homme conduit par ses principes dans toute sa dimension. Même si vous ne voyez qu'une image du film, vous le reconnaîtrait.
Sa compagne est interprétée par Machiko Kyo. Son jeu est très marqué voire caricaturale. s'il peut être dérangeant au début, il prend tout son sens au fil de l'histoire. Et au final ce film est si maîtrisé, si parfaitement mis en scène qui pourrait être vu tel un film muet.
Ces trois personnages forment le premier triangle. Les deux hommes mourront. Le samurai tué, le bandit exécuté, seul le cas de la femme restera un mystère. 
Mais des trinités, on en trouve beaucoup dans ce film, trois lieux (la foret, la porte, le tribunal), les trois hommes qui parlent sous la porte. On notera parmi eux la présence d'un autre acteur fétiche du maestro, Takashi Shimura qui tient le rôle du bûcheron, l'homme qui découvre le corps.
Le montage et la réalisation jouent avec les pans du films désignés comme flash back mais qui n'en sont pas vraiment. ils sont les visions de chacun sur ce qui est arrivé au samouraï.
Le film est monté de manière à donner la parole à chacun des personnages impliqués, l'un après l'autre. Ça créé un long métrage très dynamique. La mise en scène apportant sa pierre à l'édifice, Kurosawa place le personnage qui donne sa version des faits devant, mais laisse les deux autres autres dans le cadre. Il joue avec les focales, les floues, et autres stratagèmes pour marquer leurs importances secondaire à ce moment du film
Le maestro décide également de braver la sacro sainte règle des 180 degrés, transformant la rencontre entre Tajomaru, et le Samourai comme un moment hyper dynamique et déstabilisant, tout en soulignant son importance. 
Il créé également un jeu de dupes à propos du nombre de points de vues, de versions de l'histoire. Il n'y a pas seulement ceux des trois protagonistes, celui de l'accusé; de la femme, etdu samurai par le biais du chaman. Il y a aussi celui du bûcheron qui prétend hors procès avoir été témoin. Et une cinquième version que personne n'énonce qui accuserait le bûcheron.
Toutes ces choses donnent une impression de vérité multiple qui varie en fonction du moment et du regard.
Sentiment accentué par la manière de filmer la lumière et la foret.
Commençons par la lumière, pour la première fois dans l'histoire du cinéma ,Kurosawa demande à Kazuo Miyagawa de filmer le soleil de face. Il reste cet astre inaccessible, et c'est la manière dont les arbres et leurs feuilles laissent passer la lumière,qui devient un élément caractéristique du film. Lorsque les trois protagonistes de l'histoire parlent, la lumière habille leurs visages, et les zones d'ombres sont bien présentes et fluctuantes. Difficile de déterminer le vrai du faux. C'est seulement lorsque le bûcheron prend la parole, que l'éclairage de la scène est plein... pour Kurosawa les jeux d'ombres et lumière, minutieusement façonnés, parleraient directement au cœur du spectateur. Et ici il créé presque une sémantique à leur utilisation.
La foret aussi est un choix réfléchit, pas seulement pour se morcellement de la lumière mais aussi parce que c'est un endroit qui est nourrit pas notre imaginaire et où tout est possible. Et c'est dans cette déstabilisation que l'histoire prend sa source.
Une déstabilisation qui est voulue par Kurosawa pour différentes raisons. L'un des axes central de sa philosophie était que nous devions suspecter tout même ce que nous avions vu. Et le désordre, la multiplicité de point de vues, l’extrême pauvreté d'une partie des protagonistes rend tout possible. Cette fluidité des possibles se retrouve aussi lorsque le maestro jouant avec la focale, pose sa caméra à terre et filme entre les jambes du samouraï qui est debout, son épouse qui est couchée au sol, et le bandit qui se tient debout, face à lui. Tous les sommets du triangle semblent s'aligner, le triangle n'est plus ce que l'on croit .
C'est aussi pour cela que Kurosawa explose une des règles qui régissait le cinéma à cette époque.
La caméra n'est plus omnisciente, elle ne détient pas ici la vérité sur ce qui s'est passé, c'est à nous spectateur de nous faire notre avis. Sentiment renforcé par la manière dont est filmé le procès, où le spectateur est à la place d'un juge qu'il ne verra jamais. Et les événements qui arrivent au rasho un peu avant l'épilogue semblent être la parfaite illustration de cette pensée mais pas que.
Car l'un des thèmes est la foi en l'humanité,voire la foi tout court. Le moine bouddhiste au début du film, dit qu’après ce meurtre et ce procès il a perdu la foi. Il raconte en parlant de la porte des démons que l'un d'entre eux, excédé par la vilenie des hommes a décidé de ne plus revenir dans leur monde. Et ce n'est que par le choix d'un homme qu'il reprend confiance en l'humanité. Cet acte altruiste transforme ce monde absurde en quelque chose qui prend un sens. C'est l'altruisme de l'un qui rend la foi à l'autre.

Ce film a été un succès surprise. Il a changé les codes du cinéma, et inspiré d'autres cinéastes. Mais je préfère garder en tête son histoire. C'est l'histoire d'un homme qui réfléchit son art, au moment où son pays retrouve l'intégrité de son aptitude à créer. Il revient aux bases et à ce qu'il aime. Les studios ne sont pas fan. Et il prend congés de la toho, son studio,pendant un an, pour aller dans un autre et créer ce film dont personne ne veut vraiment. Par hasard le film qui doit aller à la mostra de Venise n'est pas prêt, on envoi cette œuvre sans même le prévenir. Et il casse les codes, rafle oscars et lions d'or à Venise. Fait naître le cinéma japonnais aux yeux des occidentaux, et révolutionne les codes. Et il fait tout cela avec un film où chaque plan nous raconte quelque chose.

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