19501950 - 1959Akira KurosawaAsieCritiqueMachiko KyoMasayuki MoriMinoru ChiakiTakashi ShimuraToshiro Mifune
Rashomon
RASHOMON
d'Akira Kurosawa
En
l'an 750 trois hommes s’abritent sous une porte (rasho). Deux
d'entre eux, un bûcheron et un moine bouddhiste, viennent d’être
les témoins d'un procès, et ont assisté à l’exécution d'un
coupable. Le troisième passe de l'un à l'autre pour savoir ce qui
les a marqué tant que ça. Car sous cette porte des démons des gens
se suicident tous les jours.
Shinobu
Hashimoto s'appuie sur deux nouvelles d'Akugatawa Ryuhosuke pour
écrire le scénario.
Il
le situe en l'an 750, le japon qui est dans l'ère Nala, est déchiré
par une guerre civile. La pauvreté est partout et c'est ce qui
frappe en premier dans ce film. Les haillons avec lesquels sont
habillés les trois premiers protagonistes et l'état de la porte
posent tout de suite contexte .
Akira
Kurosawa lui remet en cause sa toute jeune carrière. En 1952 lorsque
ce film sort, les états unis ont levé la censure qui allait de
paire avec l'occupation du Japon après la seconde guerre mondiale.
Censure qui interdisait de faire des films historiques. Lui, il veut
revenir aux racines de son art. Il lui semble avoir oublié ce qui
faisait la magie des films muets,il perçoit une perte de beauté et
pour la retrouver il ressent le besoin de retourner vers ce qui est
l'essentiel d'un film.
Il
prend la décision de faire un Jida-geki, c'est un genre japonnais
que l'on retrouve au théâtre, à la télévision et au cinéma. Il
raconte des histoires qui se déroulent dans le japon médiéval.
Dans
ce cadre la mise en scène, prend une toute autre importance.
Les acteurs adoptent un jeu très marqué, et très théâtral.
Celui
qui est le plus remarquable dans cet exercice est Toshiro Mifune qui
interprète le brigand Tajomaru. Il réussi à intégrer les
particularités de l'interprétation théâtrale pour composer son
personnage. Ça passe par sa démarche sautillante et la fluidité de
son corps qui contraste tant avec celle du samouraï, à sa manière
declaquer les mouches ou les puces.
Le samouraï est interprété
par Masayuki Mori, il est la raideur incarnée. Sa silhouette est une
composante incroyable du film. Il est l'homme conduit par ses
principes dans toute sa dimension. Même si vous ne voyez qu'une
image du film, vous le reconnaîtrait.
Sa compagne est interprétée
par Machiko Kyo. Son jeu est très marqué voire caricaturale. s'il
peut être dérangeant au début, il prend tout son sens au fil de
l'histoire. Et au final ce film est si maîtrisé, si parfaitement
mis en scène qui pourrait être vu tel un film muet.
Ces
trois personnages forment le premier triangle. Les deux hommes
mourront. Le samurai tué, le bandit exécuté, seul le cas de la
femme restera un mystère.
Mais des trinités, on en trouve beaucoup
dans ce film, trois lieux (la foret, la porte, le tribunal), les
trois hommes qui parlent sous la porte. On notera parmi eux la
présence d'un autre acteur fétiche du maestro, Takashi Shimura qui
tient le rôle du bûcheron, l'homme qui découvre le corps.
Le montage et la réalisation jouent avec les pans du films
désignés comme flash back mais qui n'en sont pas vraiment. ils sont
les visions de chacun sur ce qui est arrivé au samouraï.
Le
film est monté de manière à donner la parole à chacun des
personnages impliqués, l'un après l'autre. Ça créé un
long métrage très dynamique. La mise en scène apportant sa
pierre à l'édifice, Kurosawa place le personnage qui donne sa
version des faits devant, mais laisse les deux autres autres dans le
cadre. Il joue avec les focales, les floues, et autres stratagèmes
pour marquer leurs importances secondaire à ce moment du film
Le
maestro décide également de braver la sacro sainte règle des 180
degrés, transformant la rencontre entre Tajomaru, et le Samourai
comme un moment hyper dynamique et déstabilisant, tout en soulignant
son importance.
Il créé également un jeu de dupes à propos du
nombre de points de vues, de versions de l'histoire. Il n'y a pas
seulement ceux des trois protagonistes, celui de l'accusé; de la
femme, etdu samurai par le biais du chaman. Il y a aussi celui du
bûcheron qui prétend hors procès avoir été témoin. Et une
cinquième version que personne n'énonce qui accuserait le bûcheron.
Toutes
ces choses donnent une impression de vérité multiple qui varie en
fonction du moment et du regard.
Sentiment
accentué par la manière de filmer la lumière et la foret.
Commençons
par la lumière, pour la première fois dans l'histoire du cinéma
,Kurosawa demande à Kazuo Miyagawa de filmer le soleil de face. Il
reste cet astre inaccessible, et c'est la manière dont les arbres et
leurs feuilles laissent passer la lumière,qui devient un élément
caractéristique du film. Lorsque les trois protagonistes de
l'histoire parlent, la lumière habille leurs visages, et les zones
d'ombres sont bien présentes et fluctuantes. Difficile de déterminer
le vrai du faux. C'est seulement lorsque le bûcheron prend la
parole, que l'éclairage de la scène est plein... pour Kurosawa les
jeux d'ombres et lumière, minutieusement façonnés, parleraient
directement au cœur du spectateur. Et ici il créé presque une
sémantique à leur utilisation.
La
foret aussi est un choix réfléchit, pas seulement pour se
morcellement de la lumière mais aussi parce que c'est un endroit qui
est nourrit pas notre imaginaire et où tout est possible. Et c'est
dans cette déstabilisation que l'histoire prend sa source.
Une
déstabilisation qui est voulue par Kurosawa pour différentes
raisons. L'un des axes central de sa philosophie était que nous
devions suspecter tout même ce que nous avions vu. Et le désordre,
la multiplicité de point de vues, l’extrême pauvreté d'une
partie des protagonistes rend tout possible. Cette fluidité des
possibles se retrouve aussi lorsque le maestro jouant avec la focale,
pose sa caméra à terre et filme entre les jambes du samouraï qui
est debout, son épouse qui est couchée au sol, et le bandit qui se
tient debout, face à lui. Tous les sommets du triangle semblent
s'aligner, le triangle n'est plus ce que l'on croit .
C'est
aussi pour cela que Kurosawa explose une des règles qui régissait
le cinéma à cette époque.
La
caméra n'est plus omnisciente, elle ne détient pas ici la vérité
sur ce qui s'est passé, c'est à nous spectateur de nous faire
notre avis. Sentiment renforcé par la manière dont est filmé le
procès, où le spectateur est à la place d'un juge qu'il ne verra
jamais. Et les événements qui arrivent au rasho un peu avant
l'épilogue semblent être la parfaite illustration de cette pensée
mais pas que.
Car
l'un des thèmes est la foi en l'humanité,voire la foi tout court.
Le moine bouddhiste au début du film, dit qu’après ce meurtre et
ce procès il a perdu la foi. Il raconte en parlant de la porte des
démons que l'un d'entre eux, excédé par la vilenie des hommes a
décidé de ne plus revenir dans leur monde. Et ce n'est que par le
choix d'un homme qu'il reprend confiance en l'humanité. Cet acte
altruiste transforme ce monde absurde en quelque chose qui prend un
sens. C'est l'altruisme de l'un qui rend la foi à l'autre.
Ce
film a été un succès surprise. Il a changé les codes du cinéma,
et inspiré d'autres cinéastes. Mais je préfère garder en tête
son histoire. C'est l'histoire d'un homme qui réfléchit son art, au
moment où son pays retrouve l'intégrité de son aptitude à créer.
Il revient aux bases et à ce qu'il aime. Les studios ne sont pas
fan. Et il prend congés de la toho, son studio,pendant un an, pour
aller dans un autre et créer ce film dont personne ne veut vraiment.
Par hasard le film qui doit aller à la mostra de Venise n'est pas
prêt, on envoi cette œuvre sans même le prévenir. Et il casse les
codes, rafle oscars et lions d'or à Venise. Fait naître le cinéma
japonnais aux yeux des occidentaux, et révolutionne les codes. Et il
fait tout cela avec un film où chaque plan nous raconte quelque
chose.
0 commentaires