Les Salauds Dorment en Paix
LES
SALAUDS DORMENT EN PAIX
d'Akira
Kurosawa
Parler
de ce film est un exercice très particulier pour moi, car des que
vous tapez ce titre dans une barre de données on vous fait le
parallèle avec l’œuvre de Shakespeare sur laquelle le réalisateur
s'est appuyé. Et dès que l'on annonce son titre on sait ce qui
finira par arriver à notre héros. Je ne peux pas ne pas écrire sur
cette magnifique œuvre sans en parler et spoiler. Je sais la portée
de mon choix, car je me suis refusée a être aussi pleinement en
empathie pour me protéger.
Le
film commence lors d'un mariage, celui de Koishi et Yoshiko. Il est
le secrétaire de son père à elle. Mais ce mariage est suivi par
une nuée de journalistes qui nous présentent les protagonistes. Car
le père de la mariée est le directeur d'une grosse entreprise de
btp, dont la garde rapprochée est interpellée au fur et à mesure
pour malversations. Quelques minutes avant le mariage le maître de
cérémonie est parti avec le commissaire. Plus encore quelques
années au par avant les mêmes personnes étaient déjà impliquées
dans un scandale qui s'est conclu par le suicide de l'un des
lampistes.
Ce
film est comme je le disais dans mon introduction emprunt de théâtre
et en reprend certains codes. La première chose marquante est sa
partition.
Chaque
moment du film est marqué, il a son propre contexte, son message...
on pourrait décompter les actes et les scènes et faire tomber le
rideaux entre deux. Il y a ce coté abrupte de la narration
théâtrale. Et évidement l'histoire s'articule en trois grandes
parties.
A
l'image cela se traduit par une manière de filmer très
particulière. Le réalisateur filme majoritairement en plans larges,
et fait évoluer les personnages dans ce cadre comme sur une scène.
Il n'y a quasiment pas de gros plans. Mais cela donne une identité a
ce film est une intensité. Et plusieurs semaines après l'avoir vu
il me reste encore une emprunte de certains passages. L'une d'entre
elle est la première scène.
Car
ce film s'ouvre sur une scène fascinante d'un repas de mariage
pendant une vingtaine de minutes. Avec en fond d'image la table des
mariés qui domine l'écran, et une chorégraphie d'autres
silhouettes parfaitement réglée, alors que les personnages
principaux restent immobiles pendant que l'on parle d'eux. Cette
scène dominée par la couleur blanche, met les choses à leur
places, nous présentant les personnages, le narrateur omniscient
étant le journaliste dont on ne remet jamais en cause parole.
Sûrement parce que dès le prologue l'arrestation d'un personnage
lui donne raison. Cette scène est magistrale, et elle s’achève en
apothéose avec l'apparition du «spectre du père» symbolisé par
une rose noir.
Oui
il y a du Hamlet chez
Koishi. Ils ont les mêmes marqueurs forts. La mort d'un père qui
vient les hanter et qu'ils veulent venger. Et pour laquelle ils
fomentent des plans quitte à tout perdre, et même à perdre leurs
identités. Ils sont aidés par des compagnons de toujours mais plus
encore par un fantôme. L'amour rentre dans l'histoire et un
questionnement sur le bien fondé cette vengeance rentre dans
l'équation. Mais plus encore ils sont charismatiques, beaux et
séduisants, ils sont des héros au sens propres. Là il est joué
par Toshiro Mifune, qui est extraordinaire, oui je sais c'est un
pléonasme. Il interprète ce personnage torturé et tout en
intériorité avec force, et parfois explose au détour d'une scène
dévorant l'écran, il en est quasiment animal dans les scènes avec
Yoshiko. C'est beau, et c'est fort.
Hamlet
a son Ophélie et Koishi a sa Yoshiko, elle aussi elle aura plein de
points commun avec l'ingénue de Shakespeare. Le père qui a
participé à la mort du père de son amoureux et qui est donc dans
sa ligne de mire. Ce coté pure, délicat et éduqué qui rend
tellement désirable Yoshiro et aussi présent chez Ophélie. Puis
cet amour qui conduit à la folie. Elle fait partie de la tragédie.
Ici elle prend les traits de Kyoko Kagawa. Elle est sublime de
délicatesse. Tout y est elle incarne la fragilité, dans son corps
par son boitement, sa manière d’être perdue dans des kimonos
toujours trop grands, sa douceurs. Elle est vraiment très belle.
Mais
plus que ça elle est le symbole de la richesse de ce film. Car c'est
aussi un film noir, et un film très engagé socialement. Il est le
premier que produit
Akira
Kurosawa avec sa boite de production. Et il décide de ne pas courir
vers un succès facile, mais prend le partie de faire un film très
social. Il place son film dans un contexte très conservateur dans
lesquels la corruption et les petits arrangements gangrène le
système. ce film qui est très engagé mais il ne l'est pas encore
assez pour lui. Et c'est dans ce cadre là qu'il rajoute des codes
du film noir.
Koishi
aussi prend cet aspect là. D'abord dans des postures très
symboliques. Par exemple lorsqu'il est assis dans son fauteuil le
regard perdu avec son verre de whisky à la main, ou dans ses tenues, ses lunettes à écailles, sa coiffure... il
n'a pas besoin d'en rajouter, il incarne juste le personnage.
La
morale de ce film est particulière. En aucun cas le réalisateur
prend partie pour son personnage. Kurosawa dira même que Quoiqu'il
se passe autour de soi, ici dans le Japon de l’après guerre, la
délinquance est un choix. Ce n'est pas une fatalité. Cette
vengeance ne l'ai pas non plus. D'ailleurs jamais la caméra ne
semble de parti pris, elle le montre quand il perd son humanité de
la même manière qu'elle film les exactions des autres.
Quant
à la fin, que le réalisateur ne trouve pas assez poussée mais
qu'il n'a pas osé faire plus explicite de peur d’être censuré,
elle parle d'elle même. Elle fait le portrait d'une société
corrompue, ou chaque échelon interchangeable. On notera que le titre
de ce film est aussi traduit par les «salauds se portent bien»,
mais si on avait voulu qu'elle soit plus littéraire ce serait «plus
on est salaud, plus on dort»
Ce
petit bonheur, est un cadeau de Wildside, qui nous a prêté des
DVD pour que l'on puisse voir le travail impressionnant qu'ils ont
fait sur la remastérisation des films qu'ils ont sorti début Mai.
D'Akira Kurosawa nous n'avions vu aucun film dit «film noir», ce
fut le premier. Mais c'est difficile de le mettre dans une case car
c'est aussi l'ouverture d'une partie de son œuvre tournée et-ou
inspirée du théâtre comme l'est également le film "Les bas- fonds". Je tiens juste à
préciser que l'on a eu entre nos mains les livrets qui accompagnent
ces dvd. Ils m'ont grandement éclairée sur tout un pend du film et
qui m'ont juste donné l'envie d'aller m'acheter un livre sur ce
réalisateur.
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2 commentaires
"La délinquance est un choix, pas une fatalité" : oui et c'est aussi le principal thème abordé dans Chien Enragé, fabuleux film noir de Kurosawa de 1949. Des quatre films noirs qu'il a réalisés, j'établirais la hiérarchie suivante :
RépondreSupprimer1. Chien Enragé - un de ses chefs-d'oeuvre, un diamant néo-réaliste en noir et blanc
2. L'Ange Ivre - un film clé dans sa filmographie, film fiévreux sur l'état moral du Japon après la guerre et la rencontre avec Mifune
3. Entre le ciel et l'enfer - étonnant film double, film noir s'appuyant sur un discours social
4. Les salauds dorment en fin - riche variation sur Hamlet mais film plus appuyé et inégal à mon sens que ses prédécesseurs
Strum
Les deux premiers nous devons les voir prochainement !
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