Les Salauds Dorment en Paix

by - mai 08, 2017




LES SALAUDS DORMENT EN PAIX
d'Akira Kurosawa



Parler de ce film est un exercice très particulier pour moi, car des que vous tapez ce titre dans une barre de données on vous fait le parallèle avec l’œuvre de Shakespeare sur laquelle le réalisateur s'est appuyé. Et dès que l'on annonce son titre on sait ce qui finira par arriver à notre héros. Je ne peux pas ne pas écrire sur cette magnifique œuvre sans en parler et spoiler. Je sais la portée de mon choix, car je me suis refusée a être aussi pleinement en empathie pour me protéger.


Le film commence lors d'un mariage, celui de Koishi et Yoshiko. Il est le secrétaire de son père à elle. Mais ce mariage est suivi par une nuée de journalistes qui nous présentent les protagonistes. Car le père de la mariée est le directeur d'une grosse entreprise de btp, dont la garde rapprochée est interpellée au fur et à mesure pour malversations. Quelques minutes avant le mariage le maître de cérémonie est parti avec le commissaire. Plus encore quelques années au par avant les mêmes personnes étaient déjà impliquées dans un scandale qui s'est conclu par le suicide de l'un des lampistes.
Ce film est comme je le disais dans mon introduction emprunt de théâtre et en reprend certains codes. La première chose marquante est sa partition.
Chaque moment du film est marqué, il a son propre contexte, son message... on pourrait décompter les actes et les scènes et faire tomber le rideaux entre deux. Il y a ce coté abrupte de la narration théâtrale. Et évidement l'histoire s'articule en trois grandes parties.
A l'image cela se traduit par une manière de filmer très particulière. Le réalisateur filme majoritairement en plans larges, et fait évoluer les personnages dans ce cadre comme sur une scène. Il n'y a quasiment pas de gros plans. Mais cela donne une identité a ce film est une intensité. Et plusieurs semaines après l'avoir vu il me reste encore une emprunte de certains passages. L'une d'entre elle est la première scène.

Car ce film s'ouvre sur une scène fascinante d'un repas de mariage pendant une vingtaine de minutes. Avec en fond d'image la table des mariés qui domine l'écran, et une chorégraphie d'autres silhouettes parfaitement réglée, alors que les personnages principaux restent immobiles pendant que l'on parle d'eux. Cette scène dominée par la couleur blanche, met les choses à leur places, nous présentant les personnages, le narrateur omniscient étant le journaliste dont on ne remet jamais en cause parole. Sûrement parce que dès le prologue l'arrestation d'un personnage lui donne raison. Cette scène est magistrale, et elle s’achève en apothéose avec l'apparition du «spectre du père» symbolisé par une rose noir.

Oui il y a du Hamlet chez Koishi. Ils ont les mêmes marqueurs forts. La mort d'un père qui vient les hanter et qu'ils veulent venger. Et pour laquelle ils fomentent des plans quitte à tout perdre, et même à perdre leurs identités. Ils sont aidés par des compagnons de toujours mais plus encore par un fantôme. L'amour rentre dans l'histoire et un questionnement sur le bien fondé cette vengeance rentre dans l'équation. Mais plus encore ils sont charismatiques, beaux et séduisants, ils sont des héros au sens propres. Là il est joué par Toshiro Mifune, qui est extraordinaire, oui je sais c'est un pléonasme. Il interprète ce personnage torturé et tout en intériorité avec force, et parfois explose au détour d'une scène dévorant l'écran, il en est quasiment animal dans les scènes avec Yoshiko. C'est beau, et c'est fort.

Hamlet a son Ophélie et Koishi a sa Yoshiko, elle aussi elle aura plein de points commun avec l'ingénue de Shakespeare. Le père qui a participé à la mort du père de son amoureux et qui est donc dans sa ligne de mire. Ce coté pure, délicat et éduqué qui rend tellement désirable Yoshiro et aussi présent chez Ophélie. Puis cet amour qui conduit à la folie. Elle fait partie de la tragédie. Ici elle prend les traits de Kyoko Kagawa. Elle est sublime de délicatesse. Tout y est elle incarne la fragilité, dans son corps par son boitement, sa manière d’être perdue dans des kimonos toujours trop grands, sa douceurs. Elle est vraiment très belle.

Mais plus que ça elle est le symbole de la richesse de ce film. Car c'est aussi un film noir, et un film très engagé socialement. Il est le premier que produit
Akira Kurosawa avec sa boite de production. Et il décide de ne pas courir vers un succès facile, mais prend le partie de faire un film très social. Il place son film dans un contexte très conservateur dans lesquels la corruption et les petits arrangements gangrène le système. ce film qui est très engagé mais il ne l'est pas encore assez pour lui. Et c'est dans ce cadre là qu'il rajoute des codes du film noir.

Yoshiko devient une femme fatale. Elle est d'abord irrésistible tous ceux qui la rencontre vente son aura et sa douceur. Ils semblent tous sous son charme. C'est son amour qui fait vaciller notre héros, et c'est elle qui lui est fatale en révélant ou il se cache.
Koishi aussi prend cet aspect là. D'abord dans des postures très symboliques. Par exemple lorsqu'il est assis dans son fauteuil le regard perdu avec son verre de whisky à la main, ou dans ses tenues, ses lunettes à écailles, sa coiffure... il n'a pas besoin d'en rajouter, il incarne juste le personnage.

Mais ce personnage est tellement plus. Il est le peuple qui a subi la guerre. C'est lui qui se réfugie dans cette usine désinfectée son repère depuis l'enfance. C'est lui qui semble avoir tout vécu, les bombardements, la mort... il a tout perdu même son identité, son nom. Il semble interchangeable.
La morale de ce film est particulière. En aucun cas le réalisateur prend partie pour son personnage. Kurosawa dira même que Quoiqu'il se passe autour de soi, ici dans le Japon de l’après guerre, la délinquance est un choix. Ce n'est pas une fatalité. Cette vengeance ne l'ai pas non plus. D'ailleurs jamais la caméra ne semble de parti pris, elle le montre quand il perd son humanité de la même manière qu'elle film les exactions des autres.
Quant à la fin, que le réalisateur ne trouve pas assez poussée mais qu'il n'a pas osé faire plus explicite de peur d’être censuré, elle parle d'elle même. Elle fait le portrait d'une société corrompue, ou chaque échelon interchangeable. On notera que le titre de ce film est aussi traduit par les «salauds se portent bien», mais si on avait voulu qu'elle soit plus littéraire ce serait «plus on est salaud, plus on dort»



Ce petit bonheur, est un cadeau de Wildside, qui nous a prêté des DVD pour que l'on puisse voir le travail impressionnant qu'ils ont fait sur la remastérisation des films qu'ils ont sorti début Mai. D'Akira Kurosawa nous n'avions vu aucun film dit «film noir», ce fut le premier. Mais c'est difficile de le mettre dans une case car c'est aussi l'ouverture d'une partie de son œuvre tournée et-ou inspirée du théâtre comme l'est également le film "Les bas- fonds". Je tiens juste à préciser que l'on a eu entre nos mains les livrets qui accompagnent ces dvd. Ils m'ont grandement éclairée sur tout un pend du film et qui m'ont juste donné l'envie d'aller m'acheter un livre sur ce réalisateur.
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2 commentaires

  1. "La délinquance est un choix, pas une fatalité" : oui et c'est aussi le principal thème abordé dans Chien Enragé, fabuleux film noir de Kurosawa de 1949. Des quatre films noirs qu'il a réalisés, j'établirais la hiérarchie suivante :

    1. Chien Enragé - un de ses chefs-d'oeuvre, un diamant néo-réaliste en noir et blanc
    2. L'Ange Ivre - un film clé dans sa filmographie, film fiévreux sur l'état moral du Japon après la guerre et la rencontre avec Mifune
    3. Entre le ciel et l'enfer - étonnant film double, film noir s'appuyant sur un discours social
    4. Les salauds dorment en fin - riche variation sur Hamlet mais film plus appuyé et inégal à mon sens que ses prédécesseurs

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