Le Plus Beau
LE
PLUS BEAU (ou LE PLUS DIGNEMENT)
d'Akira
Kurosawa
Le plus beau, rebaptisé le plus dignement est l'un des films le
plus sujet à controverse d'Akira Kurosawa. Film de commande, fait
pour soutenir l'effort de guerre, il porte en son sein l'essence de
ce que sera le cinéma du maestro.
En pleine seconde guerre mondiale une usine de pièces d'optique
doit augmenter sa production. La direction demande à ses ouvriers
hommes d'augmenter leur production de cinquante pour cent. Les
ouvrières veulent aussi accélérer leur cadence et se fixent vingt
cinq pour cent de plus. Elles se dévouent corps et âmes pour
atteindre ce but. C'est sur ces femmes, leur travail et leur
quotidien que s’arrête le long métrage.
Plus que jamais, il est bon de remettre ce film dans son contexte.
Tourné en 1943, il sort en 1944 alors que le Japon est toujours en
guerre. Depuis plus de cent ans, le pays à une politique coloniale
agressive. Mais à cette période il sent que la possibilité de
gagner la guerre s'éloigne, et le pessimisme envahit le pays. C'est
dans ce cadre que l'état passe commande de ce film. A l'origine le
réalisateur voulait faire un documentaire sur les forces aériennes,
mais le manque de fonds l'a empêché de mener le projet à bien.
Kurosawa qui n'a réalisé que Le grand Judo, se retrouve à
l'écriture et à la réalisation . Cette fiction (oui je précise
car j'ai pu lire que c'était un documentaire) met donc en scène un
groupe de jeunes femmes, des adolescentes dévouées corps et âmes à
leur pays, et qui déploient toutes leurs volontés pour fabriquer
des optiques qui seront intégrées à diverses armes. Elles ne sont
qu'une maille de l’immense chaîne qu'est l'industrie de l'armement.
Mais elles sont un chaînon volontaire et valeureux. Et en ça on est
parfaitement dans le film de commande. Evidemment elles suspendent
des citations pour se motiver qui ne sont pas à la gloire des
américains. Mais ça paraît assez logique dans le contexte.
Kurosawa s'est souvent justifié sur ça. Il décrit combien le
peuple japonais était pris dans une spirale, quasiment hypnotisé et
ne cessé de répéter ce qu'on lui disait. Alors oui ce film répond
au cahier des charges, d'un film de commande peut-être plus que de
propagande, mais croire qu'il se résume à ces contraintes est une
erreur.
Ce film est peut être, de tout ceux que j'ai pu voir du maestro
celui qui parle le plus de qui est Kurosawa et de ce que sera son
cinéma plus tard.
Il y a déjà, présent sa vision de cinéaste, son coté
novateur. C'est la première fois qu'il a la main mise sur le film,
qu'il le scénarise et le dirige aussi. Il prend le contrôle, un peu
trop même, il se mettra à dos les actrices qui le trouve trop
exigeant. Elles éliront une déléguée pour pouvoir communiquer avec
lui.
Il explore aussi des techniques différentes. Au milieu de ses
jolis cadres, ses contre plongées valorisant le visage de ces
femmes, de ces cadres qui nous ramènent au théâtre, il y a un
improbable jump cut. C'est lors d'une conversation entre deux jeunes
filles. L'une ayant plus de responsabilités que l'autre et devant
faire un choix entre sa vie, et son devoir en tant que travailleuse
et responsable. Et une jeune femme qui veut rester quitte à mettre
sa santé en jeu. Ce jump cut permet d'imager la prise de décision
de la première jeune femme. Tout en soulignant aussi la direction
d'acteurs récurrente du cinéaste: proche du théâtre de No, avec les
visages hyper expressifs , et un engagement du corps très marqué.
Cette scène est typique du cinéma d'Akira Kurosawa, elle me fait
fortement penser à ce que l'on pourra trouver dans Rashomon dix ans après avec son plan sur le soleil filmé de face et le jeu de
Toshiro Mifune.
Ce passage est souvent vu comme une incitation à
l'auto-sacrifice, comme quelque chose de calculer, quelque chose de
factice. C'est mal connaître le réalisateur, confronté au même dilemme que son personnage, il fera le même choix qu'elle. Et ce à
deux reprises dans sa vie, lors de la mort de son père et celui de
son épouse, plus de quarante ans après ce film. Les deux se
dérouleront alors qu'il est en tournage. Il n’arrêtera jamais, et
ne prendra qu'une journée, le jour des funérailles. Les choix de ses
personnages sont absolument conformes à ce qu'il est. Il n'y a ni
triche, ni manipulation. C'est peut-être difficile à comprendre de
notre point de vue. Mais c'est une décision logique pour le
scénariste-réalisateur.
Maintenant parlons un peu des thèmes. Ce film parle de beaucoup
plus que de l'effort de guerre. Il effleure de nombreuses choses, et
ce sont des thèmes que nous retrouverons de manière récurrente dans
son œuvre. L'un des exemples le plus marquant est l'importance de la
famille et de la terre;le devoir; le deuil; la mort... et une scène où une jeune fille recherche une lentille nous amène à
la quette effrénée du héros de chien enragé. il y a surement des
choses que je n'ai pas remarqué, mais je finirai par souligner que
notre personnage centrale porte le même nom le héros de «peur»
plusieurs décennies après.
Mais arrêtons nous sur le personnage de Tsuru Watanabe, elle est
la chef des ouvrières,et le bras droit de la femme qui s'occupe
d'elles. Elle est la représentante des filles à l'usine. Elle est
interprétée par la lumineuse et charismatique Yoko Yagushi. Lors du
conflit entre le réalisateur et ses actrices c'est elle qui fut
choisie comme porte parole de ses collègues. On rapporte souvent que
les différents avec le réalisateur furent dantesques et bruyants...
Mais ils finirent mariés jusqu'à ce qu'elle meurt dans les années
quatre vingt.
Je vous dis depuis le début qu'il y a beaucoup d'Akira dans ce
film de Kurosawa san. Et si vous le regardait bien, jusqu'à la fin ,
vous verrez le pessimisme dont je vous parlais tout à l'heure. Vous
observerez aussi que les femmes sont glorifiées mais que jamais on
ne saura si elles réussiront leur parie. Et plus que tout l'épilogue
nous parle de l'échec de homogénéisation des personnes. Car même si l’intérêt de tous passe avant l'individuel. L'individuel résiste à
bas bruit, et il est porteur d'espoir pour les années difficiles à
venir.
Akira Kurosawa défendra son film toute sa vie. Apres le succès de "La Légende du grand judo" celui ci, lui permettra de peser à la Toho.
En tant qu' admiratrice absolue du réalisateur je le trouve
fondateur du reste de son œuvre, de son parcours. Cependant il est
délicat d'aborder sa filmographie par le biais du le plus beau.
Et ce quelques soient ses qualités.
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