La Servante et le Samouraï

by - mai 06, 2019


LA SERVANTE ET LE SAMOURAÏ
de Yoji Yamada

Yoji Yamada a un parcours particulier en tant que réalisateur. Pendant plus d'une trentaine d'années il a réalisé quarante cinq films  d'une série qui en compte quarante huit. Ces films retracent la vie d'un homme et ses difficultés. Il arrive en ville comme marchand ambulant et les films feuilletonent autour de sa vie, les femmes, la vie maritale, la crise... cette série prend fin dans les années quatre vingt dix avec la mort de l'acteur qui interprété cet homme.

Mais l'oeuvre de Yoji Yamada compte aussi la trilogie samouraï. L'année dernière je vous parlais de son premier opus, qui fut un vrai coup de cœur pour moi: the twilight samourai. Enchantée et très touchée par ce film j'étais décidée de regarder les deux autres films qui ont suivi; la servante et le samouraï, et love and honor dont le key maker de ce blog vous parlera bientôt.
Ces trois films s'appuient sur les romans de Shuhei Fujisawa. Au scénario Yoji Yamada est rejoint par Yoshitaka Asama. Les histoires ont en commun aussi, la vie des samouraïs à la fin de l'ère Edo, et ce que l'on pourrait appeler une perte de sens voire une recherche de sens.

Deux samouraïs regardent un troisième partir pour Edo. Katagiri a un mauvais pré sentiment.
Ce jeune samouraï va devoir faire de nombreux choix qui vont déterminer son chemin, celui de l'homme qu'il va devenir, mais aussi celui du samouraï qu'il veut être
.


Souvent je porte un regard amusé voire sarcastique sur la traduction des titres en français.
Ici alors que le film en français est nommé La servante et le samourai, en anglais il s'appelle the hidden blade ce qui est quasiment la traduction littérale du titre originel. Mais pour une fois c'est intéressant. Car chacun est une facette de l'histoire que nous narre Yamada. Ce sont les deux faces d'une même pièce. Et apposés l'un à l'autre on a une image assez juste de ce qu'est ce film.

Tout d'abord parlons de la période où se situe l'histoire. Tout comme dans the twilight samourai, nos personnages évoluent à la fin de la période d'Edo. cette période qui débute au début du XVII eme siècle et finit en 1863. Cette période est celui d'un changement de dynastie, de dignitaires, de politique. Elle est aussi un moment crucial pour les samouraï. Il y a une volonté de faire évoluer l'art de la guerre. Une volonté de créer une armée à l'occidentale, qui saura utiliser les armes à feu et marcher au pas. Ce qui est difficilement compatible avec le code d'honneur du samouraï. Ce déclin va de paire avec la déliquescence des élites, qui profitent de leurs situations et jouent de leurs places. C'est une période instable où les hommes utilisent un code moral a géométrie variable.

Ce contexte éclairé, parlons de la partie mise en avant par le titre français, la relation entre Kie et le samouraï Katagiri. Katagiri est samouraï comme son père, son père est un mort en se faisant sepuku prenant la responsabilité d'une faute qui n'était pas la sienne. Ce qui a entraîné un déclassement de sa famille qui a perdu une partie de ses revenus, et ont du changer de maison. C'est dans ce contexte que Kie vient intégrer cette famille comme servante, avec la mère et la sœur du samouraï. Kie se marie tout comme la sœur de Katagiri, la mère meurt et ce n'est que plusieurs années plus tard que la servante revient au service du samouraï, après qu'il l'ait sauvée. 
Cela donne lieu à de sublimes scènes d’intérieur. Yoji Yamada excelle à les filmer. Il pose sa caméra se jouant des fines parois des murs, faisant disparaître les personnages au grès d'un mouvement de caméra; se jouant des ouvertures et des parois pour créer une profondeur incroyable. Chaque geste du quotidien devient de la poésie, de la manière de relever les manches d'un kimono, à celle d'attiser le feu tout en passant par la manière de se regarder. Il est bon de noter comment l'étiquette et la hiérarchie prennent place dans cette maison qui devient l'incarnation des non-dits mais aussi un lieu où un lien se tisse et se renforce. Lorsque leur relation prend un tournant ou évolue tout se produit hors de la maison, dans une boutique, près de l'océan, dans une rizière...

De plus les lumières chaudes de la maison créées une ambiance chaleureuse, et symbolisent parfaitement le lieu refuge de ce samouraï. Quant au spectateur il a l'impression d’appartenir à la maisonnée, il est enveloppé par la bienveillance de ce foyer, il partage le bien être que ressent cet homme quand il est chez lui. On entend presque le crépitement du feu, la chaleur de la bougie. Il est aussi fascinant de voir comment l'extérieur finit par entrer à l’intérieur physiquement, par le coulissement d'une parois. Mais aussi plus philosophiquement, quand l'étiquette, l'ordre du samouraï vient juger et dans un même mouvement agir sur ce qui se passe dans le quotidien et dans la vie de Katagiri du choix de la servante à son célibat .



Toutes ces petites choses font entrer les spectateur dans la maison d'un modeste samouraï de la fin de la période de Edo, d'une probité intellectuel et avec un sens du devoir sans faille ce qui nous amène au second titre, the hidden blade.

Tout ce pan du film voit s’entremêler complot, suspicion, combats.... tout cela en évitant de verser dans le pur wu xia pian, en se focalisant sur l'homme. Avec comme dans le précédent opus une réflexion sur ce que veut dire être un samouraï dans les temps où ils évoluent, ce que ça veut dire de revêtir cette étiquette d'adopter ce code. Et jusqu'où le curseur peut-être poussé, à quel moment obéir est se déshonorer.
Les scènes concernant ce questionnement sont majoritairement hors de la maison, mais lorsqu'il les ramène chez lui, il est impressionnant de voir combien il semble seul, alors que l'on a toujours l'impression de voir ce lieu fourmiller de vie. Lorsqu'il prépare son katana, lorsqu'il s’entraîne au maniement, et même lorsque une femme vient solliciter sa clémence , il semble qu'un mur invisible les sépare du reste du monde, des autres. A ces moments là, le samouraï semble être enfermé dans une bulle. Il est terriblement seul face à son devoir et sa charge.
Les scènes de combats au katanas sont fascinantes. Elles sont dans un premier temps jamais ce que l'on pense qu'elles vont être. Le terme de chorégraphie prend tout sons sens. Chaque mouvement semble être réfléchi, son amplitude parfaitement étudié et cadré avec soin, tout est harmonieux et son rythme est hypnotique. Mais plus que ça les finalités ou ce que nous raconte ces combats témoignent de la dégradation de l'idéal du rôle du samouraï.

 Le « hidden blade » connu également sous le nom de « demon's claw » ou « demon's cratch » devient l'arme ultime du samouraï, celle que peu d'élus maîtrisent. Mais elle est aussi le point d'orgue de sa réflexion sur qui il est. Ne voulant pas spoiler trop le film, je n'en parlerai que peu tant j'ai été fascinée par ce moment. Sur le fond, le pourquoi elle est utilisée, et sur ce que ça dit de cette société en décrépitude; également sur ce que ça implique à propos de Katagiri. Mais aussi sur la forme, sur la manière dont Yoji Yamada le filme en contre-jour, dans un espace à la fois réduit, solennel, et très structuré. Ce moment reste longtemps imprégné sur nos rétines.


On peut aussi noter que cette scène est précédée d'une autre beaucoup plus comique. Les accents comiques ponctuent ce film allégeant son propos et les situations. Car le plus souvent c'est un comique situationnel. Les soldats qui apprennent les us et coutumes guerrières des anglais sont hilarants, leur apprentissage de la marche aux pas, avec des ordres criés dans un anglais approximatif, ou par exemple le premier tire de canon c'est gaguesque parfois digne d'une pantomime à la Chaplin mais qui s'insère parfaitement dans cette histoire. Ce qui allège grandement le film et la réflexion qu'il initie.

Car ce long métrage aurait aussi bien pu s'appeler l'homme et le samouraï, tant Katagiri est déchiré par les deux facettes de sa vie. Le tout sur fond d'étiquette, de devoirs ancestraux, et d'honneur. Mais ce film n'aurait certainement pas la même force, ni la même portée s'il n'était pas servi par deux incroyables acteurs. Masatoshi Nagase incarne Katagiri, il est crédible dans chacune de ses facettes, excelle à donner forme à ses colères, et nous bouleverse par ses emballements... et alors qu'il est l'incarnation de la rigidité et du samouraï, il arrive à conserver l'humanité de l'homme et à transmettre ses sentiments .
Takako Matsu interprète Kie. Elle incarne parfaitement la fraîcheur et la fragilité. Des qu'elle apparaît à l'écran, des qu'elle sourit à la caméra l'ambiance s'allège, le spectateur respire mieux.
Elle est le visage du réconfort avec un petit coté mutin.
Je ne dévoilerai rien de la scène finale, si ce n'est qu'elle démontre que deux excellents acteurs et une économie de mots peuvent être plus percutants que de longs monologues et des montagnes d'effets spéciaux.

Ce film est un bijou, comme l'était The Twilight Samourai. Il est fin ,délicat, et intelligent. Il impose son rythme, sa vision des choses. Yoji Yamada maîtrise parfaitement son sujet et nous embarque à ses cotés


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