Sans toit ni loi
SANS
TOIT NI LOI
d'Agnès
Varda
Une très jeune femme est trouvée morte dans un fossé, c'est un
fait divers ou un fait d'hiver comme le disait la réalisatrice. Nous
rebroussons les dernières semaines de la vie de Mona. Car si la mort
est naturelle ça n'implique pas qu'il n'y est pas un voire des
coupables.
Tout dans ce film est une construction fine et brillante pour
amener celui qui entre dans ce récit à se poser la question " Qu'est-ce que j'aurais fait si j'avais rencontré Mona sur la route ?".
Quelques semaines avant la sortie du film Agnès Varda a fait imprimer
et distribuer plusieurs milliers de prospectus avec une photo de Mona
où était inscrit, «elle ne dit jamais merci», «elle sent
mauvais»,«elle est sale», «accepteriez vous qu'elle vienne chez
vous ?», «la prendriez vous en stop ? ».... et il est indéniable qu'à
la fin de cette oeuvre on est encore habitée par ces questions.
Le film est rythmé par treize travellings toujours filmés de
droite à gauche. Chacun d'entre eux commence par un plan sur un
objet du quotidien et finit par un autre plan sur un objet identique.
Entre les deux une Mona qui marche, qui chemine et qui se dégrade de
manière a peine perceptible.
Mais quelques petites choses restent constantes chez elle, c'est
son petit air revêche, sa volonté d’être seule maître à bord et
une immense solitude malgré les gens qu'elle rencontre et qui
témoignent face caméra. tous persuadés de détenir une part de
vérité alors que majoritairement ils transposent leurs fantasmes
sur la jeune femme leurs aspirations, leurs rêves sans vouloir
réellement voir ce qu'est sa réalité.
Pour créer Mona, pour être dans le vrai, lorsque Agnès Varda l'écrit elle décide d'acheter des
anecdotes à une auto-stoppeuse routarde. Et ce qui ressort rapidement
de leur conversation c'est l'importance de l'odeur. Bien que
consciente que c'était le premier élément de l'exclusion la jeune
femme se jouait presque de cet état de fait. Mais comment
retranscrire l'odeur, la saleté par l'image et le son? Tout un
travail s'organise autour de Sandrine bonnaire, un maquillage ou ses
ongles deviennent crasseux, ses cheveux rendus poisseux à coup de
shampoing secs. Elle apprend à réparer ses chaussures, à monter sa
tente, elle exécute des travaux manuels qui marquent ses mains...
puis la répétition des remarques sur son hygiène, le tout contre
balancé des le début par une notion de « saleté dans la tète ». il est intéressant de souligner que majoritairement ce
sont des hommes qui sont sales d'esprit. Pour une grande partie
d'entre eux ils veulent profiter sexuellement de notre routarde.
L'un d'entre eux anticipe aussi la commercialisation du corps de
Mona, où seulement (ou salement choisissez votre terme) un autre a
peur d'elle et de sa manière de s'affranchir de l'ordre établit, de
cette hiérarchie qui protège les gens qui ont de quoi s'y lover.
C'est aussi dans ce cadre qu'il faut souligner la scène de viol,
c'est typiquement les scènes que je déteste au cinéma. Mais ici
son évocation hors champs et à minima souligne et positionne Mona
comme la proie d'un homme, et le violeur comme un prédateur. Et
c'est un discours qui revient à plusieurs reprises dans la film.
Comme Mona ne se plie pas aux diktats de la société où elle vit,
certains pensent qu'ils peuvent user de son corps à leurs biens
vouloir.
La réalisatrice choisit certains éléments qui caractérise la
jeune femme et en fait des marqueurs de son état . Ses bottes ( il y
en aura trois paires) seront l'un d'eux, sa tente et son duvet en
seront un second, mais ce ne sont que des exemples. Les gens qui
témoignent de qui elle était, sont aussi des jalons de qui et de
comment est cette jeune femme à un instant T. Il est intéressant de
voir le panel de personnes interrogées, du plus bienveillant et
aidant qu'est le travailleur agricole marocain, au très «sale
d'esprit» garagiste. De la très éduquée et aisée platanologue, à
la petite dame de quatre vingts ans avec qui elle se saoule. Et en
creux un discours sur la société que rejette cette jeune femme. Un
monde de petits chefs où tout le monde veut te dire quoi faire, un
monde de cruauté où des gens peuvent envoyer une vieille dame en
maison de retraite juste pour récupérer sa maison....et un monde
peu bienveillant où les femmes sont toujours des proies. Et leurs
sexualités est toujours un enjeux masculin.
Parlons un peu de la forme, Agnès Varda a tenu à ce que son film
soit restauré en 2014, restauration qu'elle a chapeautée. Ce qui
donne à ce format 1.66, et au montage ou alterne l'histoire, les travellings, les témoignages, un rythme assez soutenu et une qualité
de visionnage qui font du spectateur un acteur du récit, et qui fait
que vous vous sentez pris à partie par sa problématique mais aussi
questionné par ce qu'il dit de notre société. Société dont la
mentalité n'a que peut évoluée en trente trois ans.
Ce film vous pousse dans nos retranchements, il nous fait
réfléchir à qui nous sommes, quelles sont nos valeurs et quelle
est notre place dans la chaîne alimentaire.
1 commentaires
Bravo pour cette très juste analyse du film, la démonstration que Mme Varda était une grande réalisatrice de film, une artiste totale. Une invitation à le revoir au plus vite.
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