Cléo de 5 à 7
CLEO DE 5 A 7
d'Agnes Varda
Ce
film commence sur une séance de lecture de cartes. Seulement deux
voix et ces étranges objets que sont les cartes de tarots. Un ballet
de mains virevoltantes, d'abord en tirer neufs avec la main gauche,
puis en tirer quatre autres pour plus de précisions. Et enfin les
larmes Cléo qui croit voir quelque chose. C'est au moment où elle
sort de cette consultation et que Cléo retrouve sa gouvernante que
le premier chapitre commence, il est cinq heures.
Avant tout ce film est un petit trésor de réalisation et
d'écriture; Agnes Varda décide de le faire se dérouler en temps
réel. À sept heure notre héroïne Cléo recevra le diagnostic
qu'elle redoute tant. Deux jours au par avant elle a fait une biopsie
et maintenant elle est persuadée que sa fin est proche.
Pour
que son spectateur ressente lui aussi cette sensation où les minutes accélèrent leurs fuites ou la ralentisse, la réalisatrice chapitre
son long métrage de manière inégale, parfois les minutes
s'éternisent, parfois elles filent, comme dans nos vies. On ne peut
que s'imaginer le travail titanesque que c'est en matière de
préparation et de montage, ce que ça implique en terme de dialogue,
et de dextérité de la part des acteurs qui doivent respecter un
espace précis, mais cette œuvre arrive à conserver cette fluidité
enivrante et laisse au spectateur ce sentiment d'aisance et de
normalité.
La
photographie est spectaculaire, nous avons eu la chance de découvrir
ce film dans son édition criterion, avec un rendu impeccable; mais sans ça on aurait pu qu’être impressionné. Par exemple par la
scène la plus riche, dans un café , où Cléo boit un café pour
reprendre ses esprits après la consultation de la cartomancienne.
Miroirs
si importants dans la vie de Cléo, qui lie la beauté à la santé.
Si on peut penser qu'il y a deux temps dans ce film. Le premier est
celui de l'apparence, de l'image qu'elle renvoie ou qu'on a d'elle.
Ce moment est souvent ponctué par des jeux de reflets, dans une
boutique elle disparaît toute ou partiellement au grès de tel ou
tel miroir; et chez elles ils rythment sa vie passant de l'un à
l'autre. Là aussi Agnes Varda, maîtrise parfaitement sa caméra,
sachant ne jamais se refléter dans un de ces mesquins petits objets.
La
chambre est le lieu de bascule, où notre héroïne que l'on percevait
comme une petite chose capricieuse, twiste et assume qui elle est. Le
point d'orgue de tout ça étant la chanson « pour toi ».
Son domicile en dit beaucoup sur ce qu'est la vie de Cléo. La pièce
principale est avant tout sa chambre où domine dans un coin un lit
magistral, et c'est dans une robe d'intérieur toute en falbalas et plumes qu'elle reçoit son amant et ses musiciens.
Mais c'est aussi
un endroit très infantile où des peluches sur pattes, deux petits
chatons gambadent joyeusement; une balançoire et un trapèze pour
qu'elle se détende sous l’œil de sa gouvernante se balançant dans
un rocking-chair. Ce qui donne une scène très belle, où les
perspectives n'existent pas, et les mouvements de balanciers sont
hypnotiques.
On a
vite fait de se dire que sa maladie n'est pas anodine lorsqu'on
apprend que l'homme qui lui offre ce train de vie est médecin, mais
c'est à double sens car si elle est malade le fait qu'il ne
s'aperçoive de rien parle de son intérêt pour la jeune femme. Ceci
est à l'image de ce que l'on sait de leur relation. On a du mal à
savoir s'il n'est marié qu'à son travail et s'il n'y a pas une
épouse quelque part ailleurs.
Arrêtons nous sur les deux parties du film dont je vous parlais précédemment.
Elles semblent se répondre détruisant tout ce que l'on croyait
savoir de notre chanteuse, et en utilisant divers moments
qui se font écho. Le plus évident étant les costumes, adieu
coiffure élaborée, et robe habillée, bonjour robe noire très classique et coupe au carré.
Adieu gouvernante qui l'infantilise et ne la croit pas, bonjour amie
de toujours qui perçoit Cléo comme celle qui a réussi. Les
médecins aussi se répondent, puis les hommes de ceux qui veulent
lui faire chanter des choses, à celui qui a une jolie
réponse pour
tout, il y a tant d'autres comme les bars, les moyens de
transports..... finalement cela forme un tout adieu Cléo bonjour
Florence. C'est aussi fascinant à détricoter que c'est un plaisir à
voir.
Ce
film est citadin, et Agnès Varda filme Paris avec la même délicatesse
qu'elle filme Cléo, et lorsqu'elle filme les deux en même temps elle
déroule son talent. Par exemple elle utilise une caméra pour
plonger et filmer Cléo et sa gouvernante traversant la rue à «la
parisienne», une belle femme dans un monde de fourmis. Alors que
plus tard , elle utilise un travelling filmant le visage de son héroïne torturé. Et les individus qu'elles croisent ne rentrent
plus dans son plan. La ville semble disparaître pour remettre à la
place qui lui est du l'individu. On regarde les marins et leurs
pompons, plus que le quartier en lui même. Le cinéma s'oublie à la
faveur d'un court métrage.
Puis
il y a le Paris bucolique, celui des jardins et des fleurs, celui où
Cléo nous présente Florence. Moment où l'image qu'elle renvoie ne
compte plus tant que ça. Agnès Varda filme par le prisme d'un trajet
en bus, qui est à ce moment là, la définition du romantisme, une
relation au temps différente.
Cléo
rencontre un homme ce jeune soldat qui repart en Algérie à huit heure. Il
est un vecteur sur qui on peut compter il aide le spectateur à
réfléchir, et Florence à cheminer.
Ce
long métrage,en plus d’être un objet sublime, est aussi un film féministe. La manière dont est traitée Cléo est rythmée par une misogynie permanente. On peut se demander pourquoi elle n'aurait pas
le droit d’être inquiète et bouleversée par le verdict? Est-ce que
sa situation est réellement enviable, elle qui est en permanence
jugée ?Son extrême beauté, fait que peu de personne finalement la
prenne au sérieux.
Cléo
est interprétée par la sublime Corinne Marchand. J'ai lu des gens
très sévères avec son interprétation, je l'ai trouvé
bouleversante dans ce rôle difficile, exigent. Il y a une multitude
de rôles secondaires plus ou moins important de personnes connus: Karina, Frey, Brialy, Legrand qui signe aussi la musique du film....
Je
ne sais pas comment j'ai pu passer à coté de ce film. Il est
extraordinaire et a un discours d'actualité aujourd'hui.
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