VERS LA LUMIÈRE
de Naomi Kawase
Il
est souvent compliqué d'écrire sur un film que vous avez beaucoup
aimé. Il est toujours difficile de trouver les mots pour en parler,
de partager l'émotion, et il est encore plus complexe d'expliquer un
sentiment. Ce film je l'ai adoré, il sera l'un de mes coups de
foudre de cette année, et c'est un tout nouveau sentiment qu'il a
fait naître chez la blogueuse que je suis devenue. J'ai eu envie de
le garder pour moi, de ne pas en parler immédiatement, d'y réfléchir
à bas bruit, de le garder au chaud, ne pas le livrer tout de suite.
Il a fallu que je le regarde une seconde fois avant de me décider à
écrire dessus
Misako
est audio descriptrice dans une association appelée «white light».
Elle écrit donc les audio-descriptions des films, les rendant
accessibles aux malvoyants. Une audio-description au Japon avant d’être validée, est confrontée à plusieurs occasions à un panel
de personnes porteurs d'un handicap sensitif. Chacune de ces tables
rondes permettant d'affiner cette description grâce aux remarques et
aux réflexions. Autour de cette table, il y a le très critique
monsieur Nakamori.
Ce
film est un film de Naomi Kawase. Il irradie de cette œuvre sa
personnalité, et son cinéma. A l'origine de cette histoire, il y a
l'audio description de son précédent long métrage, le précieux
les délices de Tokyo.
Lors de son écriture elle a redécouvert d'une certaine manière son
film et a décidé d'utiliser ce vecteur pour nous parler de cinéma
Elle dira de vers la lumière, c'est «un film qui traite de
l'amour du cinéma». Méthodiquement, elle développe sa déclaration
à son art, en la faisant cohabiter avec deux histoires d'amour. Une
qui balbutie ses prémisses et l'autre qui fait son bilan (dans le
film qui est audio décrit).
La particularité de l'audio description permet d'aborder
différents impératifs, comme la limite entre ce que l'on peut
raconter et l'espace que l'on doit laisser à l'imagination de celui
qui reçoit l'histoire. Et dans cette spécialité qu'est
l'audio-description cet équilibre est encore plus difficile à tenir.
Rajouter à cela la nécessaire problématique de l'interprétation,
et de ce que l'on met de nous dans les films que nous recevons. Et
combien ça peut biaiser le message du film et vous aurez une idée
de la complexité de l'exercice.
Ici c'est Juzo, un vieux routier du cinéma, qui incarne la
création , mais aussi la vie. Il fait partie d'une série de
portraits et de moments qui émaillent ce long métrage et qui sont
les témoins de ce qu'apporte le cinéma dans nos vies que ce soit
celle du cinéaste, ou celle du spectateur en passant par l'actrice.
Chacun d'entre nous y trouve quelque chose.
Mais plus encore c'est une réflexion sur ce qu'est être spectateur, cette connexion, ce flot d'émotions dont nous sommes
les destinataires.
Tout ça mis en images par l’extraordinaire cinéaste qu'est
Naomi Kawase. Avec son style, sa signature, son talent sans limite
qui est si adapté à ce film qui parle d'handicap sensoriel.
Dés la première scène, on est confronté sans crier gare à
l'audio-description. On perçoit intuitivement l'importance de
l'image, de la voix, et l'importance de bien choisir les mots. Dans
cette configuration le son prend une importance toute différente, il
devient un élément fondamental parfois organique, parfois mécanique
et le plus souvent humain. Il devient un acteur à part entière, de
la sonnerie d'un téléphone qui déchire un silence apaisé en
passant par le son des légumes qui croquent sous les dents, ou le
bruits des voitures et de la circulation voire le murmure de la
foret.
La lumière aussi prend une importance quasi palpable, bien que le
film parle de la perte de la vue. Naomi Kawase met en scène la
lumière. En la rendant presque palpable en la décomposant par le
prisme d'un cristal, la transformant en petits arc-en-ciel. Lui
donnant une identité.
Elle devient quasi humaine quand les enfants court après le
coucher de soleil pour le rattraper. Elle est un élément essentiel
de ce film, elle porte une composante poétique forte pendant tout le
film.
Prenons
le temps de nous arrêter sur la manière dont la réalisatrice
représente le handicap sensoriel. Et avec qu'elle justesse cette
artiste qui est l'une de mes réalisateurs préférés parlent du
handicap sans aucun misérabilisme.
S'il y a bien un sujet de réflexion, dans le cinéma
d'aujourd'hui c'est la représentativité. L'acteur qui interprète
monsieur Nakamori est l'un des acteurs fétiche de la réalisatrice,
Masatoshi Nagase. Il n'est pas du tout mal voyant. Il interprétera un homme qui perd la vue, et non un homme non voyant. Il est le seul
dans ce cas, et des le début du film il est stigmatisé comme
quelqu'un de différent par rapport aux autres non voyants. Comme pour chacun des
films de ce tandem, il y a beaucoup de préparations en amont.
Masatoshi Nagase a passé plusieurs mois avec des personnes non
voyantes. Ça et le talent de l'acteur créé un personnage fort et
bouleversant. Mais les autres personnages qui se retrouvent autour de
la table au moment de l'audio-description portent eux un handicap
sensoriel. Ils sont non voyants. Et les commentaires pragmatiques sur
le film, lors des séances d'audio-description, prendront une
dimension toute autre. Ils portent aussi un discours sur ce que c'est
de vivre sans la lumière.
La réalisatrice à la judicieuse idée d'utiliser une facette de
son acteur. Elle fait de son personnage un photographe, taillant un
rôle sur mesure pour Nagase dont c'est une des passions. Si vous flânez sur son compte instagram, vous vous rendrez compte de deux
choses. La première c'est qu'au moins tout ou une partie des
photographies qui sont exposées dans le film, sont des photos de
Masatoshi Nagase. La seconde est qu'un appareil photo qui ressemble
énormément à celui si caractéristique qu'utilise monsieur
Nakamori, apparaît déjà sur des photos qui semblent datées de
plusieurs années de monsieur Nagase. Il se glisse donc à merveille
dans le rôle.
Autre choix judicieux de la cinéaste. Elle nous questionne sur
notre relation, notre perception du handicap sensoriel. Elle créé
une conversation, un mouvement perpétuel qui va de nous au handicap.
Elle s'appuie pour ça sur la lumineuse et très talentueuse Ayame
Misaki l'interprète de Misako qui porte se questionnement. Elle
verbalise cette réflexion à plusieurs moments du film, mais pas
que. Perchée sur ses talons, marchant sur des équipements
podo-tactile (les plaques en béton qui semblent cloutées au niveau
des passages piétons en sont le parfait exemple), les yeux fermés
est une image dont je me souviendrai longtemps. Mais c'est plus
encore car après avoir vu cette scène, je vous mets au défit de ne
pas essayer, et d'expérimenter ses sensations. Et quand Misako,
parle de peur, ou de résonance dans les os.... ça fait sens, plus
encore ça prend corps.
Et vous appréhenderez les choses de manière différentes.
Il y a aussi une réflexion sur ce qu'est la perte et plus encore
ce qu'implique de perdre. Naomi Kawase balaie un large prisme qui commence par la
perte de mémoire (qui est au centre du film qu'auto décrit Misako,
mais aussi de sa vie),mais s’arrête aussi sur la perte de ce qui fait le centre de la vie,
d'un passé, d'un souvenir, d'un sens, d'amis, de la vie... tout ceci
avec pour fond cette phrase répétée à plusieurs reprises dans ce
long métrage «rien n'est plus beau que ce que l'on a sous les yeux
et qui s’apprête à disparaître».
Ce film est un petit bijou, mais il n'est pas facile. On peut
rester en surface et passer à coté; ou l'on peut le recevoir en
plein cœur et décider de regarder les choses différemment. C'est en
tout cas un moment de grâce qui fait de lui, mon préféré de
l'oeuvre de Naomi Kawase.... Pour le moment
0 commentaires