Vers la lumière

by - septembre 07, 2019


VERS LA LUMIÈRE
de Naomi Kawase

Il est souvent compliqué d'écrire sur un film que vous avez beaucoup aimé. Il est toujours difficile de trouver les mots pour en parler, de partager l'émotion, et il est encore plus complexe d'expliquer un sentiment. Ce film je l'ai adoré, il sera l'un de mes coups de foudre de cette année, et c'est un tout nouveau sentiment qu'il a fait naître chez la blogueuse que je suis devenue. J'ai eu envie de le garder pour moi, de ne pas en parler immédiatement, d'y réfléchir à bas bruit, de le garder au chaud, ne pas le livrer tout de suite. Il a fallu que je le regarde une seconde fois avant de me décider à écrire dessus

Misako est audio descriptrice dans une association appelée «white light». Elle écrit donc les audio-descriptions des films, les rendant accessibles aux malvoyants. Une audio-description au Japon avant d’être validée, est confrontée à plusieurs occasions à un panel de personnes porteurs d'un handicap sensitif. Chacune de ces tables rondes permettant d'affiner cette description grâce aux remarques et aux réflexions. Autour de cette table, il y a le très critique monsieur Nakamori.


Ce film est un film de Naomi Kawase. Il irradie de cette œuvre sa personnalité, et son cinéma. A l'origine de cette histoire, il y a l'audio description de son précédent long métrage, le précieux les délices de Tokyo. Lors de son écriture elle a redécouvert d'une certaine manière son film et a décidé d'utiliser ce vecteur pour nous parler de cinéma
Elle dira de vers la lumière, c'est «un film qui traite de l'amour du cinéma». Méthodiquement, elle développe sa déclaration à son art, en la faisant cohabiter avec deux histoires d'amour. Une qui balbutie ses prémisses et l'autre qui fait son bilan (dans le film qui est audio décrit).
La particularité de l'audio description permet d'aborder différents impératifs, comme la limite entre ce que l'on peut raconter et l'espace que l'on doit laisser à l'imagination de celui qui reçoit l'histoire. Et dans cette spécialité qu'est l'audio-description cet équilibre est encore plus difficile à tenir. Rajouter à cela la nécessaire problématique de l'interprétation, et de ce que l'on met de nous dans les films que nous recevons. Et combien ça peut biaiser le message du film et vous aurez une idée de la complexité de l'exercice.
Ici c'est Juzo, un vieux routier du cinéma, qui incarne la création , mais aussi la vie. Il fait partie d'une série de portraits et de moments qui émaillent ce long métrage et qui sont les témoins de ce qu'apporte le cinéma dans nos vies que ce soit celle du cinéaste, ou celle du spectateur en passant par l'actrice. Chacun d'entre nous y trouve quelque chose.
Mais plus encore c'est une réflexion sur ce qu'est être spectateur, cette connexion, ce flot d'émotions dont nous sommes les destinataires.


Tout ça mis en images par l’extraordinaire cinéaste qu'est Naomi Kawase. Avec son style, sa signature, son talent sans limite qui est si adapté à ce film qui parle d'handicap sensoriel.
Dés la première scène, on est confronté sans crier gare à l'audio-description. On perçoit intuitivement l'importance de l'image, de la voix, et l'importance de bien choisir les mots. Dans cette configuration le son prend une importance toute différente, il devient un élément fondamental parfois organique, parfois mécanique et le plus souvent humain. Il devient un acteur à part entière, de la sonnerie d'un téléphone qui déchire un silence apaisé en passant par le son des légumes qui croquent sous les dents, ou le bruits des voitures et de la circulation voire le murmure de la foret.
La lumière aussi prend une importance quasi palpable, bien que le film parle de la perte de la vue. Naomi Kawase met en scène la lumière. En la rendant presque palpable en la décomposant par le prisme d'un cristal, la transformant en petits arc-en-ciel. Lui donnant une identité.
Elle devient quasi humaine quand les enfants court après le coucher de soleil pour le rattraper. Elle est un élément essentiel de ce film, elle porte une composante poétique forte pendant tout le film.


Prenons le temps de nous arrêter sur la manière dont la réalisatrice représente le handicap sensoriel. Et avec qu'elle justesse cette artiste qui est l'une de mes réalisateurs préférés parlent du handicap sans aucun misérabilisme.

S'il y a bien un sujet de réflexion, dans le cinéma d'aujourd'hui c'est la représentativité. L'acteur qui interprète monsieur Nakamori est l'un des acteurs fétiche de la réalisatrice, Masatoshi Nagase. Il n'est pas du tout mal voyant. Il interprétera un homme qui perd la vue, et non un homme non voyant. Il est le seul dans ce cas, et des le début du film il est stigmatisé comme quelqu'un de différent par rapport aux autres  non voyants. Comme pour chacun des films de ce tandem, il y a beaucoup de préparations en amont. Masatoshi Nagase a passé plusieurs mois avec des personnes non voyantes. Ça et le talent de l'acteur créé un personnage fort et bouleversant. Mais les autres personnages qui se retrouvent autour de la table au moment de l'audio-description portent eux un handicap sensoriel. Ils sont non voyants. Et les commentaires pragmatiques sur le film, lors des séances d'audio-description, prendront une dimension toute autre. Ils portent aussi un discours sur ce que c'est de vivre sans la lumière.


La réalisatrice à la judicieuse idée d'utiliser une facette de son acteur. Elle fait de son personnage un photographe, taillant un rôle sur mesure pour Nagase dont c'est une des passions. Si vous flânez sur son compte instagram, vous vous rendrez compte de deux choses. La première c'est qu'au moins tout ou une partie des photographies qui sont exposées dans le film, sont des photos de Masatoshi Nagase. La seconde est qu'un appareil photo qui ressemble énormément à celui si caractéristique qu'utilise monsieur Nakamori, apparaît déjà sur des photos qui semblent datées de plusieurs années de monsieur Nagase. Il se glisse donc à merveille dans le rôle.

Autre choix judicieux de la cinéaste. Elle nous questionne sur notre relation, notre perception du handicap sensoriel. Elle créé une conversation, un mouvement perpétuel qui va de nous au handicap. Elle s'appuie pour ça sur la lumineuse et très talentueuse Ayame Misaki l'interprète de Misako qui porte se questionnement. Elle verbalise cette réflexion à plusieurs moments du film, mais pas que. Perchée sur ses talons, marchant sur des équipements podo-tactile (les plaques en béton qui semblent cloutées au niveau des passages piétons en sont le parfait exemple), les yeux fermés est une image dont je me souviendrai longtemps. Mais c'est plus encore car après avoir vu cette scène, je vous mets au défit de ne pas essayer, et d'expérimenter ses sensations. Et quand Misako, parle de peur, ou de résonance dans les os.... ça fait sens, plus encore ça prend corps.
Et vous appréhenderez les choses de manière différentes.


Il y a aussi une réflexion sur ce qu'est la perte et plus encore ce qu'implique de perdre. Naomi Kawase balaie un large prisme qui commence par la perte de mémoire (qui est au centre du film qu'auto décrit Misako, mais aussi de sa vie),mais s’arrête aussi sur la perte de ce qui fait le centre de la vie, d'un passé, d'un souvenir, d'un sens, d'amis, de la vie... tout ceci avec pour fond cette phrase répétée à plusieurs reprises dans ce long métrage «rien n'est plus beau que ce que l'on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître».

Ce film est un petit bijou, mais il n'est pas facile. On peut rester en surface et passer à coté; ou l'on peut le recevoir en plein cœur et décider de regarder les choses différemment. C'est en tout cas un moment de grâce qui fait de lui, mon préféré de l'oeuvre de Naomi Kawase.... Pour le moment

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