Suicide Club

by - septembre 01, 2019


SUICIDE CLUB
de Sono Sion

Parler du film de Sono Sion, dont le titre original Suicide Circle revêt plus de sens, est une gageure pour plusieurs raisons. D'abord car éviter le spoile est un exercice en lui-même. Dans ce film il y a quelque chose qui se passe, même lorsqu'il semble que le rythme s’apaise. Ensuite car son réalisateur, son créateur avait une ambition spéciale pour ce film dont je vous parlerai plus tard, qui lui donne un cachet particulier et l'éclaire d'une lumière un peu différente. Ou alors tout simplement car c'est un ovni inclassable dans le monde codifié du cinéma.

Le pitch sera court. Il sera un amuse bouche, qui ne vous instruira aucunement sur les goûts et les saveurs du repas qu'il annonce. Six jours ; une vague de suicides, majoritairement de très jeunes gens, le Japon, des policiers, des sacs de voyages blancs. Et comme bande original un girls band de toutes jeunes adolescentes.

Avant tout arrêtons nous sur le réalisateur qui est considéré comme un cinéaste anti-conformiste, mais c'est très réducteur. Écrivain et poète dans les années 90 il a appartenu au mouvement Tokyo Garage, dont les membres défilés dans la rue en hurlant des poèmes exprimant le mal être et la difficulté d'évoluer ou de trouver sa place dans la société.
Si je parle de l'artiste Sono Sion, c''est qu'il est au centre de tout. Suicide circle est le premier film que je vois de lui, et c'est assurément pas le dernier. Son rapport avec ce long métrage est très particulier. Originellement il voulait faire une trilogie qui explorait cette vague de suicides. Dans cette optique il a réalisé Moriko's dinner table, qui se situe en même temps que suicide circle. Et qui d’après ce que j'ai pu en lire (nous ne l'avons pas encore vu) donne une vision divergente de la scène d'ouverture dont je ne vous ai rien dit.
Mais le coté chronophage de l'exercice, l'a convaincu d'abandonner ce projet. Il a donc écrit et sortit le roman Suicide Circle the complet edition qui se divise en quatre parties. Le long métrage dont nous parlons est donc un fragment d'une œuvre, mais pas n'importe lequel il est à la fois la pierre de Rosette et la clef de voûte de cet édifice. Alors si on n'a pas besoin de tout connaître pour apprécier ce voyage, ça reste un élément à garder en mémoire. Et pas seulement car ça nourrit la curiosité à propos de tout ce qui l'entoure.


Par où commencer pour vous parler de ce film?
Par l'image et par sa composition ! Ce film est un film de contrastes et ce autant dans sa forme que dans son fond . Si le plus visible est la jeunesse des personnages qui cohabite si aisément avec le coté abrupt de la mort et des suicide; c'est aussi le cas avec les décors qui sont parfois si surchargés que l'on ne sait ou poser le regard et d'autres si épurés que trois personnages se retrouvent dans une pièce vide ne contenant qu'une chaise. Évidemment ces dispositions ne sont jamais anodines. Tout comme les cadres du réalisateur, des cadres choisis avec grands soins qui sont parfois envahis de
personnages, de salary men tous "en cravatés" et costumés, de lycéennes dans leurs uniformes. C'est à vous donner le vertige! Le spectateur ressent, cette sensation d’oppression. Et parfois terriblement vide comme la salle de repos d'infirmières où seul une chose semble vivante, un rideau qui vole au vent. Cette manière de filmer ses cadres est le terrain fertile pour les contre champs anxiogènes que les choses soient montrées ou pas.
L'histoire est chapitrée en jours. Et chaque jours différents personnages interviennent un hacker, des policiers( leurs staffs, leurs familles, les légistes...),les victimes, et un groupe de pop. Elles forment un girls band, a peine adolescentes. C'est le groupe est le morceau du moment. Elles chantent et dansent comme seuls les boys et girls band savent faire « mail me ». Là aussi c'est assez surnaturel de voir ces enfants, sourires apparents, ponctuer les salves de suicides. Quel contraste!
Et au milieu de tout ça la perte de sens. Pour les policiers, et aussi pour le spectateur qui se retrouve happer par la mécanique du film, comme par une vague. Il est bringuebalé par son roulis.
Détaillons un peu. Que font les policiers au milieu de tout ça? Ils sont sensés enquêter sur des crimes. Trouver les coupables. Mais il est complexe dans trouver un ici. D'ailleurs une partie du film questionne le fait que ce soit un crime ou pas. Par conséquence leurs actions sont complètement inutiles. Ils cherchent et se perdent dans tous les sens du terme.


Le suicide , ici, est beaucoup plus qu'un dommage collatéral de nos modes de vies, et de consommation. Immensément plus qu'une inadaptation. Le tout dans un Japon où mettre fin à ses jours a une aura, et un écho historique très différent qu'en Europe. Mais aussi dans un pays traumatisé par des suicides collectifs impulsés par des sectes. Deux aspects si dissemblables mais qui cohabitent dans les esprits.
Un autre paradoxe est constamment présent dans le film, et dans nos vies. C'est d'un coté une uniformisation de la société , des gens. Tous habillés pareilles, les costumes des hommes d'affaires, semblent les mêmes. Les uniformes des jeunes femmes, qui ne varient que par les chaussures qu'elles portent. Les tenues des infirmières. La musique que l'on écoute. Les tatouages que l'on choisit de faire. Tout cela nous rend interchangeable, et pourquoi faisons nous ces choix pour être originaux, pour se faire remarquer. Du coup ici le réalisateur prend le parti de ne pas mettre de héros, de personnage central. Il n'y aura que des rôles secondaires auxquels on s'identifie sans jamais réellement s'attacher. il choisit alors de sacrifier l'un de ses personnages, de manière inoubliable. Pour encrer voire ancrer dans l'esprit de celui qui regarde son film que le sujet de cette œuvre n'est pas une personne, ni peut être même un pays, vu que Sono Sion voulait ouvrir ce suicide Club sur le monde.
Car ne vous trompez pas l'homme derrière la caméra hurle toujours de la poésie. On a juste parfois du mal à l'entendre. A l'instar de cette scène où un homme veut parler de ces suicides à sa familles et finit par regarder bêtement avec sa femme et ses enfants quatre gamines hurler mail me dans sa télé. La poésie est partout ici. Mais elle est bien souvent matinée de gore, il faut se le dire. Il y a une scène de meurtre dans un cadre quasi utérin, qui ne s'efface plus de nos mémoires. Scène qui souligne le sujet du film, ou comment une société peut devenir l'ogre des ses propres enfants et les dévorer. Car c'est ça le thème comment, et peut-être même combien notre société s'auto détruit. En utilisant comme un poison des injonctions contradictoires à base d'individualisme et de globalisation. Nous faisant perdre de vu qui nous sommes vraiment.


Comme il n'y a pas de personnage plus fort que les autres, il est difficile de parler plus des uns ou des autres, et donc de choisir de parler d'un acteur plus qu'un autre. J'ai choisi de parler de deux des policiers, car finalement en mettant nos pas dans les leurs ce sont peut-être à eux que l'on s'identifie le plus. En tout cas ils sont comme nous les témoins de cette situation. Ryo Ishibashi est l'inspecteur Kunda, et il est charismatique en diable. Et son jeu sous couvert d'un voile de naïveté et d'une force déchirante. Masatoshi Nagase est l'inspecteur «taiseux» Shibusawa. Il a une manière physique presque charnelle d'impacter ce qui se passe autour de lui. Il est la clé de lecture de ce film, que ce soit dans ce qu'il ne comprend pas, ou dans ce qu'il perçoit, c'est lui qui permet au spectateur de comprendre. Et le jeu minimaliste et extrêmement fort de Masatoshi Nagase permet au personnage pas si épais que ça de tenir son rôle de vecteur.

Ce film est fort, poétique, gore, et profondément politique. Il est à la fois fourmillant et dépouillé. Et il est surtout impossible d'ignorer son message

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