Les Délices de Tokyo
LES DÉLICES DE
TOKYO
de Naomi Kawase
de Naomi Kawase
J'ai
abordé l'oeuvre de Naomi Kawase par Still
the water,
et au royaume des mauvaises idées celle-ci aurait un certain succès.
Cette cinéaste a un cinéma exigeant rythmé par des partis pris
forts et parfois déstabilisants. J'ai mis un an avant de revoir un
de ses films, et ce fut les délices de Tokyo. D'abord car "Still the Water" m'avait intriguée, ensuite à cause du casting. Kirin Kiki au
générique, pour moi est l'assurance d'un film plein d'émotions qui
va m'embarquer, et en binôme avec Masatochi Nagase qui m'avait bouleversée dans "La servante et le Samouraï" automatiquement faisait que ce film avait toute mon
attention. Au détour de à l'occasion de sa diffusion sur une chaîne de la TNT nous avons tenté notre chance, et ce fut une excellente
chose.
Dans une petite échoppe de pâtisserie traditionnelle japonaise,
un homme semble dépérir. Il cuisine, pardon il pâtisse des
dorayakis. Les dorayakis sont des petits gâteaux formés de deux
petites galettes qui se rapprochent de pancakes et d'haricots rouges
spécifiques,confits. Ils ressemblent à une confiture succulente d'un
rouge profond. Au japon on appelle cette préparation An. An est
aussi le titre original de ce long métrage. Cet homme à le regard
triste et semble presque enfermé en lui même. Il côtoie majoritairement des lycéennes qui sont ces principales clientes,
quand une vieille dame postule pour l'aider dans son travail.
Ce film est l'adaptation d'un roman éponyme en France. Je n'ai
pas eu le temps de le lire encore mais de ce que j'en sais le
scénario lui est extrêmement fidèle. Et je pense qu'il est bon de s’arrêter quelques secondes sur son auteur dont la biographie est
difficile à débusquer. Elle éclaire cependant ce film et en donne
presque une grille de lecture.
Durian
Sukegawa, c'est de lui dont on parle, a un parcours particulier. Il
est à la fois clown, poète et écrivain. S'il est diplômé en
philosophie il l'est également en pâtisserie. Musicien punk rock il
appartient au groupement artistique «les
poètes qui hurlent» mouvement
ou se rencontre le punk et la poésie. Et comme je vous le disais un
peu plus haut, nous retrouvons toutes ces composantes dans ce film.
Il y a une approche philosophique de la société où nous vivons. Et
une volonté d'en tirer le meilleur vaille que vaille. Ce film est
une ode à la pâtisserie japonaise traditionnelle qui ici est
revendiquée comme un art à part entière. La poésie est partout,
dans chaque détail, dans chaque réflexion de Tokue. Le punk dans le
sens de contestation, et dénonciation de décision prises au plus
haut niveau est bien présent. Si la représentation de la société
est son aspect le plus visible. Le plus poignant je ne l'i pas. J'ai
longtemps réfléchi à en parler ou pas ici. Mais il est impossible
de le faire sans spoiler. Je vous souhaite d'appréhender ce film
sans rien savoir un peu comme nous. Je vous encouragerai juste à
fouiner sur internet pour découvrir ce qui s'est passé autour de
toutes les Tokue du Japon. Personnellement j'en suis sortie très secouée.
Mais ici Naomi Kawase l'habille de poésie, l'entourant de grands
arbres qui à la fin du film revêtent une réalité toute autre.
Elle créé une bulle bucolique, presque improbable, vivante,
colorée, bruissante comme le vent dans les branches, et rythmée par
des éclats de rire.
On dit souvent que cette réalisatrice a un cinéma organique et
assez contemplatif; évidemment on est dans le vrai mais c'est assez
réducteur. Elle est une cinéaste des petits détails voir des
petits bonheurs. Elle seule sait filmer le plaisir de contempler des
fleurs, le bruit apaisant d'une goutte d'eau, ou la lumière qui se
décompose grâce à un cristal. Elle voit la magie de ce qui
l'entoure et sait la partager dans ses films. Et ici c'est un parfait
exposé de son talent, elle sollicite chacun de nos sens pour nous
faire partager ces plaisirs simples.
Elle a aussi une maîtrise assez magique de l'espace, elle semble
parfois pousser les murs rien qu'en posant sa caméra. Si dans ce
long métrage, les plans sont assez formels, elle arrive cependant à
nous attabler dans cette petite échoppe. Meme dextérité à propos
de la chronologie, cette petite merveille prend son temps, les mois
se déroulent au rythme d'un cerisier qui abrite cette boutique.Il
devient l'unité de mesure. Il permet au trio qui porte ce film de se
former et de se supporter.
Car
ce film brasse plusieurs thèmes. Celui de la famille, pas celle dont
on hérite mais celle que l'on se construit quand au jour de la
distribution on n'a pas été correctement doté. Ici chacun peut
s'inscrire dans un lien filiale avec les deux autres. Et chaque
personnage a de lourds bagages à portés. Mais plus encore ce film
nous tend un miroir et nous pose la question de ce que l'on met
derrière réussir sa vie et de réussir dans sa vie. Mais aussi ou
est notre liberté et qu'avons nous choisi de faire pour la
préserver, pour se rendre heureux.
Le tout sur fond de transmission bien évidemment.
le casting est somptueux, à mes yeux. Kirin Kiki apparaît dans
ce film avec une coupe au carré courte et des lunettes de soleil
rose. Elle est toute aussi solaire que bouleversante. Je crois que
c'est avec ce film qu'elle m'a fait le plus pleurer. Et comme chaque
fois que je vois un film avec elle (à l'exception de returner) je
finis en larmes, ça vous donne une idée sur le personnage de Tokue
et sur la force de l'interprétation de Kirin Kiki.
Kyara Uchida se retrouve entre deux acteurs aussi charismatiques
que talentueux, et elle tient merveilleusement son rôle. Elle donne
corps aux doutes et aux épreuves que traverse Wakana avec grâce,
fragilité et fraîcheur.
Masatoshi Nagase a la rude tache de jouer cet homme éteint presque broyé, emmuré dans sa vie et qui pourtant est d'une
humanité sans faille, et d'une générosité touchante. Il allume ou éteint d'un plan à l'autre son regard, affrontant ses fantômes et
ses chaines. Il est d'une justesse a toute épreuve, et une œillade à la caméra peut vous bouleverser
Ce film est sublime et bouleversant. Aujourd'hui si on me
demandait par quel film aborder l'oeuvre de Naomi Kawase je
conseillerai celui-ci. La richesse est partout dans le discours du
film, dans son image, dans sa forme, et dans ses acteurs. On n'en
sort pas indemne.
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