Distance

by - novembre 16, 2018



DISTANCE
d'Hirokazu Kore-eda

A la veille du jour anniversaire de la mort de leurs proches, quatre personnes se préparent à aller sur le lieu où ils se sont suicidés. Cependant ils partagent ce jour de deuil avec les familles de plus d'une centaine de personnes, celles des victimes d'un attentat commis par une secte. La particularité de ses quatre? Leurs proches étaient les bourreaux et ce sont suicidés après. Mais après avoir rendu hommage à ces hommes et femmes, près d'un lac au fin fond d'une foret, ils s'aperçoivent que leur voiture et une moto ont été volés. Cette moto appartenait a un homme qui a fuit la secte, juste avant cet attentat.

Directement inspiré par le massacre de la secte aum, Hirokazu Kore-eda signe ici son troisième film, et probablement l'un des films le plus complexe que nous ayons vu jusque là. Sachant que nous commençons à en avoir vu un certain nombre.

Tout d'abord dans sa forme, dans sa volonté d'interroger ses personnages autant que leurs proches décédés. Il opte pour une narration saccadée où les moments présents sont interrompus par des flashback. Flashback où ils font face à leurs proches,aux policiers, et à la distance qui s'installe entre eux, de plus en plus grande. Mais ce parti pris a pour particularité de donner à ce long métrage un rythme haché, saccadé dans un paysage idyllique.
Ensuite car le réalisateur décide de «coller» à ses personnages. Au point de donner à sa caméra des accents de journalisme embarqué et de nous transformer en personne partie prenante de l'action. Il nous pousse à nous questionner, nous aussi. Il est de ces moments très rares chez ce cinéaste où la caméra fait tellement partie de l'action, qu'elle saute et que son cadre n'est pas parfait. Ce qui nous donne l'impression de participer à l'action, et notre point de vue semble prendre le dessus sur tous les autres, ce qui permet plein de choses. Par exemple très rapidement dans le film, j'ai oublié le massacre qui avait été perpétré, tant j'étais focalisée sur les cinq personnes, leurs histoires, et leurs proches. J'étais fascinée par ces familles extrêmement meurtries qui pourtant honorent leurs morts, malgré les malheurs qu'ils ont amenés dans leurs sillages. Et tout autant fascinée par cet homme qui a appartenu à ce groupe,et qui a fuit juste avant l'attentat.

Ce film est le plus sombre que j'ai vu de ce réalisateur. Il utilise tout son art pour jouer avec la lumière naturelle et l'applique à des scènes de nuit. Car ce film se passe au moins pour moitié de nuit. Avec une scène autour d'un feu de camps et de cigarettes qui reste dans nos mémoires. Mais ici il utilise particulièrement la pénombre, celle de la foret et de ses arbres touffus où le soleil et la lumière ont du mal à percer, celle du lac dans les flashbacks qui est toujours obscurci par la brume;ou toujours autour de ce lac, à la tombée du jour où un frère joue du didgeridoo, et dans plein d'autres situations. Mais finalement est ce que tout cela n'est-il pas une interprétation du «bleu silencieux», ce moment de la nuit, juste avant que le soleil se lève où le ciel devient bleu? Un moment qui représente la fin de quelque chose, et le début d'autre chose? Car c'est un de ces moments pour nos protagonistes, et l'épilogue de ce film le démontre.

Ce long métrage nous questionne aussi sur notre place dans la société, sur nos sentiments face à elle, et sur ce que l'on veut construire. Mais c'est avant tout un questionnement sur notre identité, sur celles des autres que l'on croit connaître, mais que l'on connait si mal. Les autres sont à l'image de ce jeune homme, dont à la fin du film on ignore toujours le lien qu'il y a entre lui et les personnages qui l’entourent. Et qui finit par faire un acte symbolique et fort.

Le casting repose sur cinq acteurs. Arata Iura était déjà hypnotique dans after life avec sa beauté lunaire et son jeu à la fois minimaliste et terriblement expressif. Il est tout a fait à son aise dans ce rôle qui est à minima le plus mystérieux du film, si ce n'est la plus difficile.
Tadanobu Asano est un bon acteur, on le sait. Mais là il a la tache assez peu évidente d'interpréter un homme qui répond aux questions, mais qui n'explique rien. Et il est parfait dans cette position tant il sait insuffler le mystère dans ses contradictions et dans sa solitude.
Yusuke Iseya est bouleversant dans son dynamisme proche de l'hyper activité, dans sa manière de gérer deux deuils. Il est solaire, son jeu est lumineux et enjoué. Son binôme avec Arata Lura est un petit bonheur .
Susumu Terajima, est formidable dans un rôle d'homme à facettes. Dans un scénario où chaque facette explique une autre. C'est presque une aussi grande prouesse scénaristique que d'acteur.
S'il y a un point faible à ce casting c'est Yui Natsukawa, avec un paradoxe difficile à expliquer. Elle est surprenante dans les scènes avec son époux, ou seule, où parfois son charisme dévore son partenaire à l'écran. Et elle disparaît dans les scènes avec les quatre acteurs précédemment cités, même lorsque la scène tourne autour d'elle.

Si ce film n'est pas forcément un long métrage traditionnel de Kore-eda, il en garde des marqueurs forts, et le premier est l'humanité de ce cinéma. Alors bien que plus complexe il m'a beaucoup touchée, et je n'en suis pas sortie indemne

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