Air Doll

by - novembre 18, 2018


A cause d'un abus de langage que je peine à refréner, je dis depuis toujours « Mangas » dès qu'il s'agit d'un anime et que je le découvrais. Alors que le « Mangas » c'est surtout et avant tout le support papier. Un médium désormais mondialement reconnu (même en France) et qui s'adresse aussi bien aux garçons qu'aux filles. Les sujets sont aussi divers que variés et selon la cible, on parle de « Seinen », de « Shojo », ou encore de « Shonen ». Et si dans les animes, on en trouve souvent des biens, voir des excellents, dès qu'il s'agit d'adapter cela au cinéma, cela se gâte et l'amateur de mangas que je suis est souvent déçu. Donc lorsque je découvre « Air Doll », l'adaptation par Hirokazu Kore-eda de « Kuuki Ningyo » de Yoshiie Goda, je fus surpris ! Puis la surprise laissa place à l'évidence, une adaptation live d'un mangas n'est pas toujours voué à l'échec !

« Tokyo. Une poupée d’air habite l’appartement sordide d’un homme d’une quarantaine d’années. Elle ne peut ni parler, ni bouger, mais elle est la seule compagne de son propriétaire. Il lui parle, prend son bain avec elle, et lui fait l’amour chaque soir, en rentrant du travail. Mais un jour, le fantasme devient réalité : la poupée prend vie et développe des sentiments humains. Comme un nouveau-né, elle découvre un monde inconnu qu’elle aspire à découvrir. Elle s’aventure alors dans les rues de la ville, fascinée par tout ce qu’elle voit, mais les gens qu’elle rencontre sont incapables de lui expliquer ce que veut dire “être en vie”... »

Quand le film commence, que les premières notes de la bande originale résonnent dans nos oreilles, on est transporté dans un univers doux, paisible … Cela sonnerait presque comme un conte enchanteur, sauf que celui-ci ne vous enchantera pas, bien au contraire. Hirokazu Kore-eda nous met face à une réalité sordide, que l'on ne veut pas voir, sur comment une femme est vue, mais également traité dans la société japonaise. Une réflexion passionnante, qui dépasse largement le cadre de l'archipel nippon, vu que le personnage principal incarne une poupée, ce qui est certainement la plus pertinente des paraboles, notamment pour parler d'objectification de la femme dans la société moderne.

Au scénario, on retrouve le réalisateur ( comme pour la majorité de ces films ) qui s'engouffre dans un chemin mainte fois emprunté et que d'autres emprunteront à leur tour. Celui de l'inanimée qui prend vie, de l'objet qui devient «je », du fantastique qui interroge ou de la science-fiction qui surprend. Les corps sont faits de n'importe quelle matière, bois, métal ou alors de plastique comme ici. Ce qui vous donne les bases d'une intrigue similaire à un conte ( Pinocchio ne semble pas loin), ou « Nozomi », la « Air Doll » est une créature qui échappe au contrôle de son créateur, créateur qui l'a doté d'un cœur, d'une vie! Il s'en suit la découverte du monde qui l'entoure, avec curiosité, envie et maladresse, ou la peur de l'inconnu se mêle à l’émerveillement de tous les instants. Et ou Nozomi fait l'expérience de ce qu'est être un humain !

Une interrogation que l'on retrouve dès qu'un objet, ou une figure de sf classique comme un androïde naît ! Et qui va de pair, avec la question de l’âme humaine. Ici Hirokazu Kore-eda ne se pose pas fondamentalement la question, car ce qui l’intéresse c'est de questionner le rapport qu'a Nozomi avec son environnement proche comme familier. Parce que cela définira, si elle existe pour l'autre, pour la personne qui la voie, l'entend ou la touche. Les actes du personnage répondes d'eux-même, avec candeur et naïveté. Où ses qualités sont mise à la rude épreuve de la réalité et du genre humain, bête, stupide et cruel. Hirokazu Kore-eda se sert de la capacité allégorique du personnage de « Nozomi » pour dresser un constat d'une noirceur infini sur les relations hommes/femmes au Japon. Pour les hommes, les femmes sont toutes des « Nozomi », des « Air Doll » interchangeables, soumises et dociles qui ne servent que de présence et de corps juste bon pour des relations sexuelles. Avec comme idée constante que c'est normal et que si ce n'est pas le cas, c'est forcément de la faute de la femme, car elles sont toutes les mêmes (dixit l'un des personnages masculin du film). Une situation devenue banale, qu'il faut absolument changer, pour éviter comme à la fin de sentir la présence d'une personne, sa perte, alors qu'elle était là, à tendre la main, pour avoir de l'aide !

Quant au réalisateur, il livre un film doux-amer, avec une réflexion sur le genre masculin percutant, à mi-chemin entre le conte et la chronique sociale, ou prendre le temps (voir un peu trop) est essentiel, notamment pour saisir au mieux le pouls de la société japonaise. Sa caméra, toujours aussi subtile est constamment à hauteur de femme, captant avec force et pudeur le quotidien de Nozomi. Ses journées aussi longues que disparates sont baignées par la lumière douce et chaleureuse de Ping Bin Lee, qui apporte de la nuance et du contraste, tout comme la musique de Katsuhiko Maeda. Des apports nécessaires de lumières, de légèretés et d'optimisme, pour mieux appuyer par la suite le décalage qu'engendre le poétique, comme lorsque Nozomi prend vie ou on touche au sublime, et le réalisme de la vie de tous les jours. Des choix qui peuvent paraître en substance anachronique, mais ce sont eux qui donnent cette atmosphère si particulière au film, à la fois étrange, angoissante et révoltante !

Un film porté par un casting vraiment talentueux, ou rayonne avant tout la fantastique Doona Bae ! C'est une actrice sud-coréenne que vous avez déjà pu voir chez les sœurs Wachowski (Cloud Atlas, Sense 8), chez Park Chan-wook (Sympathy for Mr Vengeance) ou chez Kim Seong-hoon (Tunnel) et qui ici juste la candide « Nozomi » ! Un pari risqué tant il semble difficile d'imaginer quelqu'un dans ce genre de rôle là, malgré ça, elle est fait des merveilles. Elle joue ce personnage avec grâce, douceur et fragilité, tout en développant peu à peu une personnalité qui s'affirme. Une performance pleine de subtilité qui vous transportera à coup dur dans l'univers de « Air Doll ». Pour la seconder, on trouve certains acteurs déjà familiers de Kore-eda, comme Susumu Terajima ou Arata Iura dit « Arata », ou encore Itsuji itao le « propriétaire » de « Nozomi » et Joe Odagiri le créateur des « Air Doll » …

C'est une belle adaptation que nous livre Hirokazu Kore-eda et qu'il rééditera quelques années plus tard, avec l'adaptation de « Kamakura Diary » de Akimi Yoshida, « Notre petite Soeur » !!!

Air Doll - 16 Juin 2010 - Réalisé par Hirokazu Kore-eda

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