Le Corbeau
LE CORBEAU
d'Henri-Georges Clouzot
Dans
une petite ville de province prénommée Saint-Robin, un corbeau fait
son apparition. Dans sa ligne de mire un docteur nouvellement arrivé
qu'il accuse d’être avorteur. Pourquoi? Car dans les maternités
à risque, il favorise toujours plus la femme que l'enfant, puis les
lettres prétendent qu'il est l'amant de la femme d'un psychiatre
réputé de la commune. Si cet homme n'y croit pas un instant, les
autres notables ne sont pas aussi confiants. Jusqu'à ce que le
corbeau les accuse eux aussi. Il se met à semer les rumeurs partout
provoquant une mort.
Ce
film est un film de Clouzot, il est donc un thriller très réussi,
mais aussi un témoignage sur la société.
Commençons
par le pan thriller qui est si bon qu'il suffirait à lui seul à
faire de cette œuvre un excellent film.
L'efficacité
du scénario y est pour beaucoup. L'écriture nous fait suivre le
docteur Germain, le premier à être ciblé, mais n'hésite pas à
faire de nous les témoins de ce qui a été écrit à différentes
personnes. On est finalement les principaux destinataires de ces
lettres de l'horreur. Pas de toutes, car à la
fin du film on apprend qu'il y a eu plus de cent lettres anonymes
envoyées pendant la durée de l'histoire. Ce qui implique qu'il y
ait plusieurs corbeaux. Et que quelque soit la solution, que l'on
découvrira, ce ne sera qu'une pièce du puzzle.
Le
rythme est soutenu, chaque lettre ayant des répercussions qui
enrichissent les personnages. Personnages que nous découvrons avec
le docteur au fil de l'histoire. Docteur qui n'est pas encore Rémi,
et qui reste très mystérieux pendant les trois quarts du film.
Jamais on ne crois aux rumeurs d'avorteur, mais on perçoit qu'il
cache quelque chose. Chose que je tairai, bien sure.
Ce
film fait parti des thrillers que l'on a envie de revoir alors que
l'on connaît la solution de l'énigme, tant il paraît évident que
ça lecture sera aussi riche et encore plus étonnante à l'aune de
ce que l'on saura. Et que le film se réécrira en changeant de point
de vue. Et j'avoue que j'ai hâte de le faire, car les souvenirs de
cette œuvre revêtent
déjà une autre aura.
Nous
avons déjà du voir quatre ou cinq films de ce réalisateur à
l'heure où j'écris ces mots et nous n'avons pas encore parlé de tous. On voit poindre une signature dans sa manière de filmer. Une
gestion incroyable de ses noir et blanc, qui deviennent un vecteur de
narration. Une scène incroyable autour d'une ampoule qui se balance
est d'une pureté et d'un minimalisme incroyable, tout en illustrant
parfaitement le moment du film. Ou cette scène où il filme à
travers une ferronnerie Denise et sa nièce. Ce noir et blanc amène
son lot de poésie et on n'est pas à l’abri de voir une silhouette
à l'écran et pourtant ne la percevoir comme un ange vengeur.
L'image est construite avec minutie.
Les
acteurs sont plus charismatiques les uns que les autres. Pierre
Fresnay qui joue le docteur, est parfait, sombre et taciturne. Pour
l'avoir vu dans d'autres films je le trouve plus à son aise dans des
jeux avec plus d'humour et d'auto dérision. Mais il est excellent.
J'ai
découvert Pierre Larquey réellement dans ce film. Il avait un tout
petit rôle dans les Diaboliques. Il est extraordinaire et je
pourrais le voir cabotiner pendant des heures.
Ginette
Leclerc est typiquement la femme glamour des années 40.
Si
le principal thème est celui de l'anonymographie (terme inventé par
le criminaliste Edmond Locard dans les années 20) dont je vais
parler plus tard. Ce film brasse d'autres sujets, il nous parle aussi
de la place des femmes. Et il le fait sans ménagement.
Utilisées,
mariées par ce qu'elles ont trop de caractère, répudiées mal
aimées, ce sont finalement elles qui occupent tout le film. Elles
sont les principales victimes de ce corbeau. La vision de la
maternité et de la place qu'elles y jouent est horrifique. La
réflexion sur ce que c'est qu'avoir un enfant à la fin, fait mal
aux ovaires. Et c'est assez courageux de le montrer en pleine guerre.
Et c'est aussi pour ça que l'église s'opposa à ce film.
Tout
comme le portrait qu'y est fait de la bourgeoisie influente de ces
petites villes,du coté consanguin , et détachés de la réalité
d'une partie de ces gens là.
Ce
film a été fait alors que la France était occupée par les
allemands et produit par une boite allemande qui s'était installée
à Paris au début de la guerre. Ce qui valu à ceux qui avaient
travaillé sur cette oeuvre, une interdiction à vie de faire du
cinéma en France. Interdiction qui fut levée en 1947 par le
ministre de la jeunesse des arts et des lettres. Et cependant
lorsqu'on voit ce film, c'est un criant pamphlet contre les lettres
de délations de l'époque. Habillée par un fait divers qui s'est
passé à Tulle pendant la première guerre mondiale.
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