1990 - 19991991AsieCritiqueCrossroadsEiki OkudaGô KatôKei KumaiKinnosuke NakamuraShinsuke AshidaToshiro MifuneYasushi Inoue
Crossroads n°1: La Mort d'un Maître de Thé
Toute personne qui aime les films, est bien souvent confrontée aux adaptations de roman. C'est là que l'on commence à grogner. Nous avons eu l'idée de croiser certains romans et leurs adaptations. Vous ne verrez pas ici de billets sur les livres à proprement dit, juste une réflexion sur ce que l'un est l'autre apporte à l'histoire. Leurs convergences et leurs divergences et les richesses, ou les faiblesses que ça fait naître. Ce sont nos crossroads !
LA MORT
D'UN MAÎTRE DE THÉ
de
Kei Kumai
Pour ce tout premier crossroad j'ai eu l'immense chance de rentrer
dans l'univers du thé dans le japon des années 1600. d'abord sous
la plume de Yasushi inoué et ensuite dans les pas de de Kei Kumai.
Commençons par parler de ce dernier. Ce film très épuré qui eut
l'ours d'argent à Venise en 1989 , nous propulse dans un japon
mythique.
Vingt ans après la mort de son maître par seppuku, Honkakubo est
invité à prendre un thé chez Uraku Oda. Ils commencent à deviser
sur la mort de de Rikyu, des rumeurs qui l'entourent, et du pourquoi
de cette mort.
Une fois n'est pas coutume, je vous parlerai d'abord des
personnages.
Le maître Sen No Rikyu, maître du thé attaché au seigneur
Hideyoshi. Si au moment où commence ce film, il est mort depuis plus
vingt ans. Il est omniprésent dans ce long métrage. L'aura de son
interprète Toshiro Mifune aide à cet atmosphère. Il est la figure
de proue d'une philosophie du thé «simple et sain». Il applique
cette art au cours de diverses cérémonies dont celles pour les
samouraïs avant qu'ils ne partent au combat.
Dans son sillage sont évoqués les maîtres Oribe Furuta et Soji
Yamanoue qui avaient la même conception de ces cérémonies, et qui
se suicidèrent eux aussi.
Le personnage que l'on suit est Honkakubo moine qui fut l'ultime
apprenti de Rikyu. Il converse tous les jours avec l'esprit de son
maître. Il l'a quitté quinze jours avant sa mort lorsqu'il est
parti en exil. Interprété par Eiji Okuda, les choix fait par la
réalisation autour de lui sont intéressants. Pour le laisser dans
cette position d'apprenti perpétuel, le réalisateur ne le vieillit
que peu. Et l'acteur garde une gestuelle quasi juvénile, élancée,
et dynamique. On lui blanchit
légèrement les cheveux , c'est tout.
Et c'est bien vu.
Puis il y a Uraku oda, dignitaire qui se proclame maître du thé,
d'un thé différent, un thé de paix. Qui à la fois essaie de se
différencier de ses prédécesseur. Mais est fasciné par la mort de
maître
Rikyu, et par son pourquoi.
Si les personnages sont si importants, c'est qu'ils donnent le ton
du film. Et c'est pour cela que c'est par eux que je commence. La
réalisation fait un film simple et sain dans sa forme.
Et c'est dans les décors que c'est le plus marquant. Ils sont
tous, sauf un, épurés. L'intérieur de la maison de Honkakubo, il
est un moine désargenté, sa maison est sombre et sobre, son seul
luxe est un autel où il prie pour son maître. Il y a très peu
d'objets. Les autres sont en général des salles de thé en période
de guerre. Avec des tatamis au sol et le minimum nécessaire pour
faire le thé.
Les décors extérieurs respirent le zen. Un cours d'eau qui
s'écoule, lentement, sous le soleil, sous la pluie, sous la neige.
Un cimetière où un râteau a tracé des sillons éphémères propres
à la méditation. Puis l'extérieur de la maison de Honkakubo le
jardin fleuri en fonction de la saison.
Ça fonctionne à merveille, ça nous rend concret le style de cet
homme, que nous ne sommes pas capable d'imaginer par notre manque de
références. Ça nous met dans une disposition très particulière.
On est immergé.
Une scène dénote. Une cérémonie de thé, effectuée avant le
départ pour la guerre des samouraï. Et tout d'un coup le spectateur
sort de sa bulle et du milieu ouaté des salles de thé. Les
contrastes sont plus forts, les couleurs sont plus vives. Et Rikyu
nous apparaît bien seul face à ces hommes.
Et là encore c'est tellement bien réfléchit. On nous parle
beaucoup de la violence qu'à vécu ce maître, de voir partir tant
d'hommes vers leurs morts. Et là c'est plus que des mots. La
violence est palpable, sans jamais être présente.
Bien évidemment les plans sont pensés. Chaque
mouvement de la caméra semble nécessaire, pour exprimer une
émotion. Il n'y a aucune fioriture, ni rien qui pourrait faire de
l'ombre aux messages du film. Ça se ressent aussi dans les
transitions, quasi inexistantes, brutales et tranchantes comme une
lame.
Le seul bémol de ce film est aussi une de ses principales forces.
Toshiro Mifune, si talentueux et tellement charismatique, est deux
tons en dessus de tout le reste du casting pourtant talentueux. Alors
il incarne parfaitement cet homme qui cristallise les interrogations,
une personne inoubliable. Mais il écrase un peu les autres acteurs
Ce long métrage traite de plusieurs thèmes dont la mort, mais il
est surtout éminemment politique. Transposable sur bien des
situations, et spécialement sur les relations entre Japon et Corée.
Ce film est un film que j'ai beaucoup aimé. Après une première
scène qui m'a un peu fait peur, je me suis perdue et laissée
absorber, il est aussi riche qu'il semble dépouillé. Il est une
démonstration du talent du réalisateur mais aussi de ses acteurs.
C'est un aussi bon qu’intéressant à voir.
LE MAITRE DE THÉ
de
Yasushi Inoue
Si le film respecte dans sa globalité la trame de l'histoire
qu'avait écrite Inoue . Le réalisateur décide de changer la ligne
chronologique (elle ne s'étale plus sur trente ans comme dans le
livre, mais sur quelques mois, et il décale le rôle de Honkakubo.
Il n'est plus le narrateur, mais l'histoire continue à graviter
autour de lui et on ne s'appuie plus des carnets qu'écrit
l'apprenti.
Ça rend possible plusieurs choses. La première est de concentrer
l'histoire et de la rendre plus lisible, voire plus facile, ne
mettant en image que ce que le réalisateur pense important, et se
concentrant uniquement sur Rikyu. Alors que dans le roman, il y a une
ouverture qui se créé et notre réflexion est bien plus large.
Ça permet aussi d'éluder le coté subjectif de l'histoire, car
ce que l'on sait ne passe plus par le prisme d'Honkakubo. En contre
partie on perd de l'humanité. On perd ses moments d'introspections,
et la scène d'ouverture du film perd de son importance. Mais ça
fait sens, car si le film est intensément politique, le livre l'est
bien moins. Pas question que le discours du film puisse être porté
que par un seul personnage, et perdre de son universalité. Alors que
le roman est avant tout un livre sur la mort. C'est le dernier livre
d'un homme qui mouira dix ans après sa publication. Ce livre s'il
n'est pas un livre «testament» et a minima un roman où les
réflexions sur la vie de l'auteur enrichissent le récit.
Je terminerai sur deux points qui démontrent que voir ce film et
lire ce livre vont de paire.
Le premier est d'essayer de vous faire partager le plaisir que
j'ai eu de voir(enfin) une cérémonie de thé. Elles ne sont pas
tant décrites que ça dans le livre. Ce sont plutôt leurs enjeux
sousjacents qui sont exposés. Alors voir transposer ces moments à
l'écran en plus menés par toshiro mifune. C'est un peu y être
convié. Et c'est un plaisir possible uniquement devant un film
Mais ce petit livre qui n'atteint pas les 150 pages est d'une
précision d'orfèvre. Il semble être écrit de manière «simple et
saine». Chaque mot compte, il est précis, et il est placé là car
il doit l’être. Il est d'une intensité que j'ai rarement
rencontré dans les livres. Et ça c'est impossible à retranscrire
au cinéma
quelque soit le média par lequel vous voulez découvrir cette
histoire, vous rencontrerez une petite merveille, dépouillée, et
zen. Mais vous pourrez passer de l'un à l'autre sans avoir une
impression de redite, par la volonté d'un homme de mettre plus en
lumière l'un des aspects de l'histoire.
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