Vers l'autre Rive
Au cœur du Japon, Yusuke convie sa compagne Mizuki à un périple à travers les villages et les rizières. A la rencontre de ceux qu'il a croisés sur sa route depuis ces trois dernières années, depuis ce moment où il s'est noyé en mer, depuis ce jour où il est mort. Pourquoi être revenu ?
Vers l'autre Rive – 30 Septembre 2015 – Réalisé par Kiyoshi Kurosawa
J'ai entendu parler de ce film lors de la sortie d'un de mes films préférés en 2015 «Crimson Peak» de Guillermo Del Toro. Et au détour d'un tweet, je vois quelqu'un conseiller «Vers l'autre rive» car il traiterait mieux le sujet des fantômes que le film de Del Toro. Soit les deux films n'ont rien a voir, mais ils ont des fantômes tous les deux et légèrement aveuglé par mon amour pour ce gentil mexicain, je n'ai pas daigné jeter un œil sur ce film. Sauf que j'ai eu tort, car «Vers l'autre rive» est un grand film et que Kiyoshi Kurosawa traite le deuil avec beaucoup de justesse …
Sans crier gare, ni prévenir ou encore sans l'envoi d'un e-mail, Yusuke le mari de Mizuki réapparaît dans sa vie. Une surprise qui la laisse sans voix, car cela fait trois ans qu'il a disparu en mer. Il confirme lui même sa mort et les crabes qui ont depuis mangé son corps ne permet à Mizuki de retrouver son corps. Mais voilà, elle ne se pose pas de question, elle lui cuisine des shiratamas et profite de l'instant avant de dormir. Croyant a un doux songe, elle se réveille seule, mais il n'en est rien, son mari est toujours la et lui propose un périple à travers le Japon, sur les traces de ce qu'il a vu en trois ans. C'est ainsi qu'ils partent dans un road-trip étrange, entre rêve et réalité ou les fantômes du passé guident les pas des vivants vers la paix intérieure …
Ce film est au final une très belle surprise et certainement le film de Kurosawa qui m'a le plus touché. Si la comparaison n'a pas lieu d’être avec « Crimson Peak », il a un point commun fondamental qui les lie; c'est de faire du fantôme le reflet des peurs, des doutes et traumas des personnages à l'écran. Mais loin d’être un film d'horreur « Vers l'autre Rive » penche plus vers le mélodrame et la balade romantique, un univers bien éloigné des tourments de l’œuvre de Del Toro.
Pour une fois, le scénario n'est pas une création originale. Il s'agit de l'adaptation du roman « Kishibe no Tabi » écrit par Kazumi Yumoto et scénarisé par le duo K. Kurosawa / Takashi Ujita. La trame du film est vraiment classique, tant il emprunte les codes du road-movie et qu'il n'en dévie que peu, mais l’intérêt c'est vraiment ce qu'il raconte et la c'est vraiment surprenant. L'histoire est autant un récit sur le regret, les non-dits que sur l'apprentissage et l'acceptation du deuil, le tout expliqué par l'esprit de celui qui vient de nous quitter dont nous avons du mal a nous séparer.
Le deuil est un processus complexe, qui est même théorisé avec les fameuses 5 étapes du deuil. Sauf qu'il y a autant de deuil que de façon de le vivre et de l'évacuer, cela peut durer quelques mois comme quelques années, un fait que le film capte à merveille au travers des différentes situations que traverse nos deux protagonistes (Yusuke et Mizuki). Une façon pour Yusuke de la préparer à la séparation définitive qui l'attend, mais aussi une manière d'apaiser les âmes en peine qui n'arrivent pas à partir. C'est beau, sincère et surtout très juste. Vivant comme mort, on vit parfois avec des choses que l'on a pas dit, des regrets, des rancœurs ou des conflits qui n'ont jamais guéri, mais qui sont autant de poids inutiles dans le deuil que l'on doit traverser. La figure du fantôme est ici bienveillante, elle ne fait pas peur, elle fait ouvrir les yeux et les cœurs sur l'essentiel, l'amour que l'on porte à celui que l'on vient de perdre.
Concernant la forme, Kiyoshi Kurosawa fait un sans faute ! C'est toujours aussi précis, toujours aussi travaillé et l'épure dont il fait preuve habituellement pour nous effrayer apporte cette fois ci énormément de délicatesse. Et il y a aussi un joli travail sur la lumière, seul vrai indicateur à l'écran pour distinguer ce qui est vivant de ce qui ne l'est. Quant au rythme du film, on vit cela comme une balade bucolique dans un Japon qui semble s’être arrêté, sur une belle bande originale de Yoshihide Otom et Naoko Eto. On prend notre temps mais on ne s'ennuie jamais; cela peut être sombre et triste comme lumineux et joyeux. Un équilibre que le réalisateur tient pendant deux heures avec brio, maîtrisant le ton de film et l'émotion qu'il distille habilement. Le casting se révèle tout aussi juste que le propos véhiculer par le film, Tadanobu Asano dans le rôle de Yusuke est épatant, plein de nuance et de sensibilité ; quand Eri Fukatsu est plus dans l'empathie, un duo qui fonctionne bien et qui se montre à la hauteur du film.
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