Tel Père, Tel Fils

by - décembre 04, 2018



Finir la filmographie d'un cinéaste, c'est assez gratifiant ! Puisque cela veut dire que l'on s'est suffisamment investi pour en découvrir l'intégralité et qu'il a su retenir notre attention. Malgré tout, cela ne veut pas dire que l'on a percé les différents mystères qu'ils s'y cachent et c'est pour moi le cas avec Hirokazu Kore-eda. Je n'ai par exemple pas connaissance qu'un certain nombre de ses films, forment un diptyque ou une trilogie. Pourtant, dans le genre je trouve que trois de ses films se détachent, car ils partagent une question fondamentales ! Qu'est ce qui lie les membres d'une même famille ? Un foyer commun ? Un même père ? Ou les liens du sang ?

C'est en substance ce dont nous parle « I Wish : Nos Voeux Secrets », « Notre Petite Sœur » et enfin « Tel Père, Tel Fils », qui nous raconte comment un brillant architecte remet sa vie en cause, lorsque sa femme et lui apprennent que leur enfant n'est pas le-leur !


« Ryota, un architecte obsédé par la réussite professionnelle, forme avec sa jeune épouse et leur fils de 6 ans une famille idéale. Tous ses repères volent en éclats quand la maternité de l'hôpital où est né leur enfant leur apprend que deux nourrissons ont été échangés à la naissance : le garçon qu’il a élevé n’est pas le sien et leur fils biologique a grandi dans un milieu plus modeste… »



Comme à chaque fois que je découvre un film de Hirokazu Kore-eda, c'est une petite perle, plus ou moins brillante qui va à contresens de ce que l'on attend ! Ici par exemple, en un seul basculement scénaristique, on passe aisément du sourire le plus béat, à la gorge nouée qui refrène des pleurs que l'on sait imminents. Pourtant, Hirokazu Kore-eda n'est pas un cinéaste qui verse dans le pathos, c'est même tout le contraire. Il laisse simplement parler son intrigue, avec sérieux, pudeur et dignité. Ou progressivement les sentiments affleurent et bousculent une réalité ou l'amertume domine …

«  Je voulais réfléchir à ce quiunit un père et son enfant. C'est en voyant ma petite fille de6 ans grandir que je me suis demandé ce qui me liait à elle :le temps ou le sang ? Que pense-t-elle de moi commepère?Qu'est-ce-qui fait qu'elle est ma fille ? Les faits diverssur les échanges d'enfant ont été un prétexte pour raconterl'histoire »

Une interrogation légitime, que le réalisateur, père comme son personnage, a eu en pensant à sa fille. Et c'est ainsi que l'idée du film est venu. L'échange d'enfants évoqué plus haut, servira aux fondations sur laquelle l'intrigue sera bâtie, qui servira de fil narratif et de vecteur pour nous parler au mieux de paternité et des traditions au Japon.



Dans le film, des pères il y en a deux, Ryota Nonomiya et Yudai Saiki ! Deux hommes que tout oppose, que cela soit par leurs éducations, leurs conditions sociales ou encore leurs lieux de vie. Même si le personnage de Yudai à toute sa place dans l'histoire, celui que l'on suit principalement c'est Ryota, qui incarne un certain idéal japonais. Un homme éduqué, strict et qui a réussi. Il mène une vie en apparence parfaite, qui peine cependant à masquer les dysfonctionnements de sa famille, de plus en plus ancrée dans une solitude destructrice. Cet équilibre au combien précaire est remis en cause par l'annonce brutale de l’hôpital, sur l'échange des enfants dont ils ont été victimes. Une nouvelle terrible que Ryota Nonomiya prend pour lui, car en plus de chambouler sa vie, cela remet en cause les fondements de son éducation et des valeurs qui ont guidé sa vie.

Notamment celle que lui a inculqué son père, comme la primauté des liens du sang sur tout le reste. Mais est cela qui crée le lien entre un enfant et son père ? Ou alors est-ce plutôt le temps qu'on lui consacre ? Son éducation lui dit qu'il a raison, mais ce qu'il vit lui dit le contraire, qu’être père ce n'est pas simplement les liens du sang, c'est aussi ce que tu développes avec-lui !



Et deux personnes le lui font remarquer avec insistance. Ce sont deux femmes, la mère de sa femme et grand-mère de Keita « Riko Ishizeki » , ainsi que celle qui l'a élevé, sa belle-mère « Nobuko ». La grand-mère de Keita, lui rappelle le sort des enfants pendant la guerre recueillis et adoptés, tout en soulignant l'importance des parents nourriciers, tandis que sa belle mère lui dit « Même sans les liens du sang, en vivant ensemble, on s'aime et on finit par se ressembler. Ca vaut pour les couples, mais aussi pour les parents et les enfants. En tout cas, c'est ce que je ressens moi, après vous avoir élevés ». Deux remarques portées par des personnes pleines de bons sens et qui sont surtout très loin d'avoir les mêmes certitudes sur la vie que possèdent Ryota. Et de par leurs anecdotes, elles élargissent le spectre de l'intrigue, en rappelant que ce que traverse Ryota n'est pas une situation nouvelle, mais bel et bien une part de l'adn de l'archipel nippon.

C'est un pays qui répète les mêmes erreurs indéfiniment, sans jamais prendre le temps de se remettre en question et c'est ce que Ryota perpétue, car il répète les erreurs de son père, avec son propre fils. Ryota c'est le citadin, l'homme des villes par excellence, qui ne vit que pour la réussite. Toutefois c'est une vie qui isole, qui cloître et qui annihile toute interaction sociale. La résidence sécurisée qui domine la ville en est un signe, comme le peu d'invités qu'ils reçoivent chez eux, mais qu'importe tant que sa position sociale est toujours aussi solide, quitte à en devenir odieux et à faire ressortir les pires travers du capitalisme. Symbolisant alors toutes la complexité d'une société qui sommes de respecter les traditions, tout en cultivant l'exact inverse ! C'est un scénario solide, qui développe un a plusieurs thèmes qui dialoguent entre eux, ou la famille répond à l'individu, la ville à la campagne, le modeste à l'aisé et l'enfant à son père. Toutefois s'il réserve des surprises, il y a une certaine linéarité qui fait que l'on voit des choses arrivées un peu trop facilement.



Cependant, le scénario de Hirokazu Kore-eda n'est pas un frein bien au contraire, car il fait preuve une nouvelle fois d'un grand talent pour nous conter « son » histoire. Il réalise ça avec un sens de l'épure et de la précision magnifique, ou chaque cadre est lourd de sens et  illustre à merveille chaque pan de son histoire. La solitude de l'appartement de Ryota, qui atteint son paroxysme lors de l'anniversaire de Keita, ou dans le noir, la ville semble vouloir les happer et les étouffer, tout le contraire du foyer de Yudai ! Un lieu sans cesse ouvert, ou les portes coulissent pour que la vie circule et ou les parents semblent toujours disponible, dans ces décors admirablement pensé par Keiko Mitsumatsu. Pour lesquels la lumière de Mikiya Takayami se révèle tout aussi puissante, selon ou l'on se trouve dans l'histoire ! Accentuant ainsi ou non le ressentit de chaque personnage. C'est à la fois beau, tendre, touchant et cruel, ou au rythme des rencontres, se nouent les tenants d'une nouvelle vie à venir, ponctués par les joies et désillusions qu'elle peut offrir.

Le casting est quant à lui vraiment bon et il montre encore tout le talent que possède Hirokazu Kore-eda pour diriger ses acteurs. Les deux petits du film sont étincelant, que cela soit Keita Ninomiya ou Shogen Hwang, ils laissent parler leurs qualités pour nous surprendre et nous toucher avec la plus belle des sincérités. Masaharu Fukuyama (Ryota) que le réalisateur retrouvera pour « Third Murder », trouve ici son premier rôle au cinéma. Et c'est une belle réussite, car il arrive à nous transmettre ce doute qui le détruit peu à peu, avant de complètement se laisser submerger par ces émotions. Lily Franky (Yudai) est un joyeux bonhomme qui cache sous son sourire toute la peine que lui procure cette situation, mêlant à cela un soupçon de détachement et d'éclat de rire. Si les deux « pères » sont opposés, ce n'est pas tout a fait le cas des « mères », qui sont interprétées par Machiko Ono (Midori) et Yōko Maki (Yukari). Si elles semblent être en retrait, elles révèlent pour autant le vrai visage de leurs maris respectifs, ou elles jouent cartes sur table, en pensant avant tout au bien-être des enfants. Elles jouent cela avec finesse, douceur et une force intérieure admirable. Mais on trouve aussi Kirin Kiki, Jun Fubuki, Jun Kunimura et Isao Natsuyagi ...

Tel Père, Tel Fils - 25 Décembre 2013 - Réalisé par Hirokazu Kore-eda
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