Senses

by - janvier 14, 2019



SENSES
de Ryusuke Hamaguchi

Nous avions prévu de voir "Senses" lors du festival international du film indépendant de Bordeaux. Mais l'alignement des planètes et une faille spatio-temporelle nous a empêché de le faire. Présenté à la fois comme l'un des événements cinéma de 2018, ou comme la première série cinématographique qui devrait figurer dans le top des meilleures séries du moment difficile de se faire une idée sur ce qu'est ce film. Je dirai juste que c'est un petit bijou, délicat et intelligent qui a su désorienter les communicants qui ont rivalisé de formules pour le vendre, ce qui a pu émousser l'aura de film qui ressemble tant au chef d'oeuvre d'un artisan.

Quatre femmes, quatre amies qui flirtent avec la quarantaines se retrouvent régulièrement au grès d'occasions, de repas, et de tant d'autres choses, comme seules les amies peuvent le faire. On les suivra au long court pendant plusieurs mois et peut être un peu plus d'une années qui les questionnera et les changera.

Il est toujours difficile de se mettre devant un film très long, ici plus de cinq heures. Tout comme il est difficile de commencer un livre de plus de six cents pages, on se demande comment faire, comment aborder cette montagne alors que finalement c'est tout simple, une page après l'autre, puis un chapitre après l'autre. Et ça tombe bien car le réalisateur décide de chapitrer son film en fonction des cinq sens, et ça nous donne des possibilités diverses de le découvrir. Il y a la manière dont il a été sorti au cinéma. Sur trois semaines "Senses" est sortis sur nos écrans, découpés en trois, "Senses un et deux" une semaine, "Senses trois et quatre" dans une autre, puis finalement "Senses cinq". Le dvd lui le découpe en deux séances le un et le deux, puis les trois autres. Quant à moi tellement heureuse que lors d'une opération cinétrafic on nous propose ces films, j'étais bien décidée à vivre l'expérience jusqu'au bout et voir le film dans sa totalité d'un coup. Il fut délicat de caler le timing, et on s'est installé devant. Mais rapidement le film, sa délicatesse, son intelligence m'a fait ravaler ma morgue de blogueuse ciné. Car oui, on peut aisément regarder senses en une seule fois, mais chaque chapitre diffuse en nous, il nous parle. Bien longtemps après qu'on est arrêté le film on le ressent encore. J'ai mémé eu envie de regarder chaque chapitre séparément ce que l'on n'a pas fait. Nous on a opté pour le découpage des dvd, mais l'expérience a été particulièrement intense. Alors avant de vous parler du film en tant que tel, je tiens à rassurer quiconque lira ces lignes, sur l'accessibilité de l'oeuvre, elle se voit comme on contemple un tableau ou une sculpture le temps paraît s’arrêter on ne le voit pas passer.


A mon humble opinion, ce film est plus qu'une œuvre c'est un chef d'oeuvre. Ryusuke Hamaguchi décide de filmer avec une lumière naturaliste, éclairage qui sied tellement au paysage et au cinéma asiatique. Ce choix semble aussi cohérent avec le sujet de ce film. Ce film parle de la vie des femmes, avec une volonté d'exactitude et un désir de ne jamais les juger. Ses cadres sont un régal, parfois faussement simplistes mais toujours réfléchis, ils racontent toujours quelque chose sur les personnages, leurs interactions, ce qu'elles cachent voire ce que l'avenir leur annonce. Les scènes où nos héroïnes sont attablées sont les plus récurrentes et donc celles qui jalonnent le plus les changements.

 Elles sont plusieurs à m'avoir réellement impactées. Mais je vous en décrirai qu'une. Elle se situe dans un procès, et l'une d'elle témoigne. Le positionnement qui semble étrange au début de ses trois amies, prend un sens tout autre lorsque la caméra les filme en plan large et de face. Si au début on s'étonne, on comprend rapidement que ces femmes qui de face semblent être au même niveau témoignent aussi, d'une manière différente et pour d'autres personne que le président c'est vrai, mais elles nous parlent de ce qu'elles vivent et qui est ou pas explicité. La place des hommes dans cette scène aussi, et du décalage dans cette société japonaise. Où la génération de leurs parents vivaient encore des mariages arrangés, où les femmes sont bien souvent à cheval entre les reliquats d'une société de tradition, et une société en emprise totale avec son temps où elles sont parfaitement à leurs places.

Dans cette œuvre Ryusuke Hamaguchi qui est à la fois scénariste et réalisateur, décline le sens à plusieurs niveaux. Il annonce en exergue le nom du sens dont il va traiter. Et par un ensemble de technique de réalisation il interpelle les sens de ses spectateurs. Lorsqu'une de nos héroïnes touche la bouilloire pleine d'eau chaude, on a l'impression que la chaleur réchauffe nos mains ; lors du sens entendre il joue avec la clarté du son, et il titille notre ouïe avec les clapotis de l'eau, les sifflements, les grondements. Il y a également une utilisation de contre jour extrêmement fort autour d'un personnage. D'abord c'est son entourage qui est concerné, une personne qu'elle veut voir sortir de sa vie, puis sur elle alors qu'elle traverse un moment particulier. Tout ça avec une légèreté, et une finesse admirable. De plus il pousse encore plus loin les recherche sur le sens et il les applique à la société. Et c'est une réflexion plus intense sur la société japonaise,sans aucune bienveillance, les hommes, les lois mais aussi sur le divorce, l'amitié, l'identité, la parentalité, la vie en fait.


Je finirai de parler de ce film, en vous confiant de mon ressenti. Ces femmes sont de ma génération, et je me suis vraiment reconnue en elles. Il y a une universalité de ce qu'elles sont de ce qu'elles ressentent. J'ai ressenti certains de leurs sentiments. Lorsque la soignante du groupe parle de son métier et alors que les tenants et aboutissants sont différents, c'est mon sentiment sur lequel elle met ses mots. Je me suis parfois sentie la sixième du groupe avec mes particularités occidentales. Mais être amies c'est aimer les différences des autres.

C'est la deuxième fois qu'un film sur les femmes réalisé par un homme me cueille, par sa bienveillance, par la justesse de ce qu'il dit de nous. C'est la seconde fois que je me sens si concernée voire ébranlée. Ce qui est le plus étonnant ce que je me sens proche de ces femmes, j'ai envie de faire partie de ces groupes car naturellement elle me ressemblent. Je pense que jamais un réalisateur non japonais n'a su aussi bien parler de ce que je suis que Kore-eda et Hamaguchi. 


"SENSES" est disponible en coffret DVD / coffret Blu-Ray depuis le 14 novembre, ainsi qu'en VOD chez Arte Editions.

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