Senses
SENSES
de Ryusuke
Hamaguchi
Nous
avions prévu de voir "Senses" lors du festival international du film
indépendant de Bordeaux. Mais l'alignement des planètes et une
faille spatio-temporelle nous a empêché de le faire. Présenté à
la fois comme l'un des événements cinéma de 2018, ou comme la
première série cinématographique qui devrait figurer dans le top des meilleures séries du moment difficile de se faire une idée sur
ce qu'est ce film. Je dirai juste que c'est un petit bijou, délicat
et intelligent qui a su désorienter les communicants qui ont
rivalisé de formules pour le vendre, ce qui a pu émousser l'aura de
film qui ressemble tant au chef d'oeuvre d'un artisan.
Quatre
femmes, quatre amies qui flirtent avec la quarantaines se retrouvent
régulièrement au grès d'occasions, de repas, et de tant d'autres
choses, comme seules les amies peuvent le faire. On les suivra au
long court pendant plusieurs mois et peut être un peu plus d'une
années qui les questionnera et les changera.
Il
est toujours difficile de se mettre devant un film très long, ici
plus de cinq heures. Tout comme il est difficile de commencer un
livre de plus de six cents pages, on se demande comment faire,
comment aborder cette montagne alors que finalement c'est tout
simple, une page après l'autre, puis un chapitre après l'autre. Et
ça tombe bien car le réalisateur décide de chapitrer son film en
fonction des cinq sens, et ça nous donne des possibilités diverses
de le découvrir. Il y a la manière dont il a été sorti au
cinéma. Sur trois semaines "Senses" est sortis sur nos écrans, découpés en trois, "Senses un et deux" une
semaine, "Senses trois et quatre" dans une autre, puis finalement "Senses cinq". Le dvd lui le découpe en deux séances le un et le
deux, puis les trois autres. Quant à moi tellement heureuse que
lors d'une opération cinétrafic on nous propose ces films, j'étais
bien décidée à vivre l'expérience jusqu'au bout et voir le film
dans sa totalité d'un coup. Il fut délicat de caler le timing, et
on s'est installé devant. Mais rapidement le film, sa délicatesse,
son intelligence m'a fait ravaler ma morgue de blogueuse ciné. Car
oui, on peut aisément regarder senses en une seule fois, mais chaque
chapitre diffuse en nous, il nous parle. Bien longtemps après qu'on
est arrêté le film on le ressent encore. J'ai mémé eu envie de
regarder chaque chapitre séparément ce que l'on n'a pas fait. Nous
on a opté pour le découpage des dvd, mais l'expérience a été
particulièrement intense. Alors avant de vous parler du film en tant
que tel, je tiens à rassurer quiconque lira ces lignes, sur
l'accessibilité de l'oeuvre, elle se voit comme on contemple un
tableau ou une sculpture le temps paraît s’arrêter on ne le voit pas
passer.
A
mon humble opinion, ce film est plus qu'une œuvre c'est un chef
d'oeuvre. Ryusuke Hamaguchi décide de filmer avec une lumière
naturaliste, éclairage qui sied tellement au paysage et au cinéma
asiatique. Ce choix semble aussi cohérent avec le sujet de ce film.
Ce film parle de la vie des femmes, avec une volonté d'exactitude et
un désir de ne jamais les juger. Ses cadres sont un régal, parfois
faussement simplistes mais toujours réfléchis, ils racontent
toujours quelque chose sur les personnages, leurs interactions, ce
qu'elles cachent voire ce que l'avenir leur annonce. Les scènes où
nos héroïnes sont attablées sont les plus récurrentes et donc
celles qui jalonnent le plus les changements.
Elles sont plusieurs à
m'avoir réellement impactées. Mais je vous en décrirai qu'une.
Elle se situe dans un procès, et l'une d'elle témoigne. Le
positionnement qui semble étrange au début de ses trois amies,
prend un sens tout autre lorsque la caméra les filme en plan large
et de face. Si au début on s'étonne, on comprend rapidement que ces
femmes qui de face semblent être au même niveau témoignent aussi,
d'une manière différente et pour d'autres personne que le président
c'est vrai, mais elles nous parlent de ce qu'elles vivent et qui est
ou pas explicité. La place des hommes dans cette scène aussi, et du
décalage dans cette société japonaise. Où la génération de
leurs parents vivaient encore des mariages arrangés, où les femmes
sont bien souvent à cheval entre les reliquats d'une société de
tradition, et une société en emprise totale avec son temps où
elles sont parfaitement à leurs places.
Dans
cette œuvre Ryusuke Hamaguchi qui est à la fois scénariste et
réalisateur, décline le sens à plusieurs niveaux. Il annonce en
exergue le nom du sens dont il va traiter. Et par un ensemble de
technique de réalisation il interpelle les sens de ses spectateurs.
Lorsqu'une de nos héroïnes touche la bouilloire pleine d'eau chaude,
on a l'impression que la chaleur réchauffe nos mains ; lors du
sens entendre il joue avec la clarté du son, et il titille notre ouïe avec les clapotis de l'eau, les sifflements, les grondements. Il
y a également une utilisation de contre jour extrêmement fort autour
d'un personnage. D'abord c'est son entourage qui est concerné, une
personne qu'elle veut voir sortir de sa vie, puis sur elle alors
qu'elle traverse un moment particulier. Tout ça avec une légèreté,
et une finesse admirable. De plus il pousse encore plus loin les
recherche sur le sens et il les applique à la société. Et c'est
une réflexion plus intense sur la société japonaise,sans aucune
bienveillance, les hommes, les lois mais aussi sur le divorce,
l'amitié, l'identité, la parentalité, la vie en fait.
Je
finirai de parler de ce film, en vous confiant de mon ressenti. Ces
femmes sont de ma génération, et je me suis vraiment reconnue en
elles. Il y a une universalité de ce qu'elles sont de ce qu'elles
ressentent. J'ai ressenti certains de leurs sentiments. Lorsque la
soignante du groupe parle de son métier et alors que les tenants et
aboutissants sont différents, c'est mon sentiment sur lequel elle
met ses mots. Je me suis parfois sentie la sixième du groupe avec mes
particularités occidentales. Mais être amies c'est aimer les
différences des autres.
C'est
la deuxième fois qu'un film sur les femmes réalisé par un homme me
cueille, par sa bienveillance, par la justesse de ce qu'il dit de
nous. C'est la seconde fois que je me sens si concernée voire
ébranlée. Ce qui est le plus étonnant ce que je me sens proche de
ces femmes, j'ai envie de faire partie de ces groupes car
naturellement elle me ressemblent. Je pense que jamais un
réalisateur non japonais n'a su aussi bien parler de ce que je suis
que Kore-eda et Hamaguchi.
"SENSES" est disponible en coffret DVD / coffret Blu-Ray depuis le 14 novembre, ainsi qu'en VOD chez Arte Editions.
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