Le Journal d'une femme de chambre

by - décembre 12, 2018



LE JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE
de Luis Bunuel

J'ai un peu honte de l'avouer mais le journal d'une femme de chambre est le premier film de Luis Bunuel que je vois. Pourtant les titres de ses films sonnent toujours comme des mets appétissants à mon oreille. Mais je n'avais jamais pris le temps d'en voir un. Grace à france 5 c'est chose faite.

Au début des années trente, Celestine quitte Paris pour prendre un poste en province. Elle est confrontée à toute une collection de petites bassesses et de grandes perversions. Armée d'une intelligence pointue et d'une adaptabilité à toute épreuve, elle affronte tout ce petit monde dans un but vengeur mais pas que ...

Sous le pont Mirabeau coule la Seine... Oui, car c'est bien à Octave Mirabeau que l'on doit le roman sur lequel est basé le scénario de Jean claude Carrière. Il transpose l'histoire dans les années trente et sa montée du fascisme, alors que l'histoire originelle se situe à la fin du XIXe. Mais il reprend le tableau d'une société bourgeoise qui collectionne les perversités et tient plus que tout à conserver les apparences.
Pour cela Bunuel décide de dresser une galerie de portraits. Célestine qui contrairement au roman et au titre du film ne sera jamais vue en train d'écrire. Ses sentiments envers les autres personnages ne seront que sous-entendus. On les devinera parfaitement. La seule chose qu'on la verra écrire est «salaud». Ce parti pris permet de donner une impression d'objectivité, on ne vit pas l'action par le prisme de ses yeux. Et on se fait notre propre avis. Mais plus encore, ça permet de créer un personnage complexe. Elle est détachée, elle est réfléchie et arrive à mener sa barque dans ce monde à deux vitesses, à deux niveaux. Elle semble s'adapter rapidement à toutes les situations, elle compose. Mais avec une petite fille, la douce et livrée à elle-même Claire, elle présente un visage plein de douceur, attentionnée, quasi maternel. Ce personnage atteint son apogée grâce à l'interprétation de Jeanne Moreau, capable d'interprétée toutes les facettes de Célestine, l'élégante parisienne et la femme de chambre, l'objet de désir et la madone vengeresse, ou encore la servante et la bourgeoise.

Il y a un portrait terrible de la bourgeoisie de province. Il ressemble à un inventaire de perversions. Monsieur vit aux crochets de sa femme. Il saute sur tout ce qui bouge et plus précisément les femmes de chambre. Le tout sous les traits de Michel Piccoli, brillants et enlevés. Madame corsetée dans son refus de la sexualité et toute adoratrice de son père. Elle passe ses journées à faire des potions et à compter ses sous.
Son père fétichiste...
Le voisin ex-militaire, toujours prompt à jouer à la guerre, il emploie sa femme de chambre comme domestique le jour mais la nuit c'est dans son lit qu'elle trouve sa place. Elle est devenue un objet qu'il échangerait bien contre la renversante et somptueuse Célestine.
Personne ne sera épargné, ni le clergé dépeint entre contradiction et mesquinerie, ni le monde des petites gens, serviteurs de ces grands bourgeois, qui se contentent d'une vie au jour le jour, proies favorites des prédateurs qui les entourent à l'image de Joseph, palefrenier sur le papier mais homme à tout faire en réalité. Il est l'ogre de cette histoire. Comme tous les ogres on n'est pas sure qu'il existe, on n'est pas sure qu'il ne porte pas le chapeau pour quelqu'un d'autre. Les portes ne sont pas tout à fait fermées. La prestation de Georges Geret est impeccable. Il arrive à la perfection à incarner le coté animal, le coté prédateur de ce personnage. Et au-delà, il incarne les démons de cette époque, le raciste et fasciste qui ne cache pas qui il est, et dont tout le monde à peur, et que tout le monde accepte.

Bunuel créé des tableaux où tous ses personnages interagissent mais sans jamais qu'ils ne se considèrent réellement. Ils sont cote à cote, chacun dans sa réalité. L'un des plans qui symbolise le mieux ce que fait le réalisateur, est celui où Celestine est avachie dans un fauteuil et le père de madame est fixée sur la bottine qu'elle porte. Dans l'ensemble je trouve que ce sont les moment entre c'est deux personnages qui sont les plus symboliques d'une structure sociétale, où le manque de connexions est mis en relief.
Il y a aussi un développement sur l'importance des apparences. Celestine à peine arrivée se fait envoyer dans sa chambre car sa toilette soignée est trop parisienne. Ou ce sont les autres femmes de chambre qui sont envoyées loin, pour cacher leurs grosses.... Une myriade de petites bassesses cachées
Tout cela sous l’œil de bunuel. Avec son image magnifique, ses plans tellement bien pensés à tous les niveaux, jamais simples, jamais faciles.

Ce film est une magnifique découverte, et une ouverture appétissante sur le cinéma de Bunuel

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