1960 - 19691964CritiqueDaniel IvernelFranceFrançoise LugagneGeorges GéretJean OzenneJeanne MoreauLuis BunuelMichel Piccoli
Le Journal d'une femme de chambre
LE JOURNAL D'UNE
FEMME DE CHAMBRE
de Luis Bunuel
J'ai
un peu honte de l'avouer mais le journal d'une femme de chambre est
le premier film de Luis Bunuel que je vois. Pourtant les titres de
ses films sonnent toujours comme des mets appétissants à mon
oreille. Mais je n'avais jamais pris le temps d'en voir un. Grace à
france 5 c'est chose faite.
Au
début des années trente, Celestine quitte Paris pour prendre un
poste en province. Elle est confrontée à toute une collection de
petites bassesses et de grandes perversions. Armée d'une
intelligence pointue et d'une adaptabilité à toute épreuve, elle
affronte tout ce petit monde dans un but vengeur mais pas que ...
Sous
le pont Mirabeau coule la Seine... Oui, car c'est bien à Octave
Mirabeau que l'on doit le roman sur lequel est basé le scénario de
Jean claude Carrière. Il transpose l'histoire dans les années
trente et sa montée du fascisme, alors que l'histoire originelle se
situe à la fin du XIXe. Mais il reprend le tableau d'une société
bourgeoise qui collectionne les perversités et tient plus que tout à
conserver les apparences.
Pour
cela Bunuel décide de dresser une galerie de portraits. Célestine qui contrairement au roman et au titre du film ne sera jamais vue en
train d'écrire. Ses sentiments envers les autres personnages ne
seront que sous-entendus. On les devinera parfaitement. La seule
chose qu'on la verra écrire est «salaud». Ce parti
pris permet de donner une impression d'objectivité, on ne vit pas
l'action par le prisme de ses yeux. Et on se fait notre propre avis.
Mais plus encore, ça permet de créer un personnage complexe. Elle
est détachée, elle est réfléchie et arrive à mener
sa barque dans ce monde à deux vitesses, à deux niveaux. Elle
semble s'adapter rapidement à toutes les situations, elle compose.
Mais avec une petite fille, la douce et livrée à elle-même Claire, elle présente un visage plein de douceur, attentionnée, quasi
maternel. Ce personnage atteint son apogée grâce à l'interprétation
de Jeanne Moreau, capable d'interprétée toutes les facettes de Célestine, l'élégante parisienne et la femme de chambre, l'objet de
désir et la madone vengeresse, ou encore la servante et la
bourgeoise.
Il y
a un portrait terrible de la bourgeoisie de province. Il ressemble à un inventaire de perversions. Monsieur vit aux crochets de sa
femme. Il saute sur tout ce qui bouge et plus précisément les
femmes de chambre. Le tout sous les traits de Michel Piccoli,
brillants et enlevés. Madame corsetée dans son refus de la
sexualité et toute adoratrice de son père. Elle passe ses journées
à faire des potions et à compter ses sous.
Son
père fétichiste...
Le
voisin ex-militaire, toujours prompt à jouer à la guerre, il
emploie sa femme de chambre comme domestique le jour mais la nuit
c'est dans son lit qu'elle trouve sa place. Elle est devenue un objet
qu'il échangerait bien contre la renversante et somptueuse Célestine.
Personne
ne sera épargné, ni le clergé dépeint entre contradiction et
mesquinerie, ni le monde des petites gens, serviteurs de ces grands
bourgeois, qui se contentent d'une vie au jour le jour, proies
favorites des prédateurs qui les entourent à l'image de Joseph, palefrenier sur le papier mais homme à tout faire en réalité. Il
est l'ogre de cette histoire. Comme tous les ogres on n'est pas sure
qu'il existe, on n'est pas sure qu'il ne porte pas le chapeau pour
quelqu'un d'autre. Les portes ne sont pas tout à fait fermées. La
prestation de Georges Geret est impeccable. Il arrive à la
perfection à incarner le coté animal, le coté prédateur de ce
personnage. Et au-delà, il incarne les démons de cette époque, le
raciste et fasciste qui ne cache pas qui il est, et dont tout le monde
à peur, et que tout le monde accepte.
Bunuel
créé des tableaux où tous ses personnages interagissent mais sans
jamais qu'ils ne se considèrent réellement. Ils sont cote à cote,
chacun dans sa réalité. L'un des plans qui symbolise le mieux ce
que fait le réalisateur, est celui où Celestine est avachie dans un
fauteuil et le père de madame est fixée sur la bottine qu'elle
porte. Dans l'ensemble je trouve que ce sont les moment entre c'est
deux personnages qui sont les plus symboliques d'une structure
sociétale, où le manque de connexions est mis en relief.
Il y
a aussi un développement sur l'importance des apparences. Celestine
à peine arrivée se fait envoyer dans sa chambre car sa toilette
soignée est trop parisienne. Ou ce sont les autres femmes de chambre
qui sont envoyées loin, pour cacher leurs grosses.... Une myriade de
petites bassesses cachées
Tout
cela sous l’œil de bunuel. Avec son image magnifique, ses plans
tellement bien pensés à tous les niveaux, jamais simples, jamais
faciles.
Ce
film est une magnifique découverte, et une ouverture appétissante
sur le cinéma de Bunuel
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