La Isla Minima

by - août 09, 2015


Deux flics que tout oppose, dans l'Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d'Andalousie pour enquêter sur l'assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au cœur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu'à l'absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.

La Isla Minima – 15 Juillet 2015 – Réalisé par Alberto Rodriguez

Parfois le cinéphile (moi compris) enrage devant le manque de diversité, voir d'originalité du cinéma. C'est vrai que depuis quelques années, on se demande quand arriveront les grands films, avec des histoires toutes droit venues de l'imagination de scénaristes prolifiques. Et c'est ainsi que de temps à autre, on peut juger d'une façon « trop » négative des films qui ne le méritent pas, des films qui ont juste fait l'erreur de s'engager dans un genre ou une thématique déjà grandement explorée ou être original devient fatalement complexe. Mais faut il pour autant condamner ça ? Je ne pense pas car avec « La Isla Minima » on est dans cet exemple, comparé judicieusement à Memories of Murder, ou encore bêtement à True Detective, ce film compile les codes du polar maintes fois visités, mais il le fait bien …

Alors que l'Espagne après la mort de Franco passe tranquillement du régime franquiste à la démocratie, deux inspecteurs sont envoyés au cœur des marais du Guadalquivir pour enquêter sur la disparition de deux adolescentes. Dans une ville ou les traces de Franco sont encore vivaces, ils ne sont pas spécialement bien accueillis. Les habitants plus inquiets par le manque de travail ou le peu d'avenir de leur ville, ils se montrent peu loquaces voire hostiles à toutes autorités. Mais quand la disparition se transforme en double homicides, cela plonge la ville dans un état de stupéfaction intense car qui pourrait faire ça ? Obliger de faire fi de quelques convenances, les deux inspecteurs vont tout faire pour résoudre ce mystère même si cela doit choquer ou faire remonter d'atroces souvenirs.



Si au final « La Isla Minima » ne révolutionnera pas les codes du polar, il se place allègrement dans ce qu'il s'est fait de mieux ces dernières années. Notamment en exploitant une histoire ambitieuse qui s'assume mais aussi en explorant les cotés sombres de l'histoire espagnole.

Écrit par Alberto Rodriguez et Rafael Cobos, le scénario d'apparence classique joue habilement sur les particularités des deux inspecteurs. Si Juan et Pedro commencent et finissent l'histoire ensemble, l’enquête leur fera prendre des virages différents. Leur opposition du à un parcours de vie unique, met en avant les deux facettes de l'Espagne, une qui vit encore dans le passé et l'autre qui voit plus loin. Un équilibre précaire qui va guider le déroulement de l'histoire car au début ce n'est qu'un enlèvement, l'atmosphère est peut être lourde mais les deux personnages principaux sont là pour faire leur travail dans les règles. Alors qu'a l'instant ou l'histoire bascule dans l'horreur la plus totale, les carapaces des inspecteurs vont se fissurer et chacun va chercher de son coté la vérité. Et c'est là que tout devient intéressant, la ville montre un autre visage, les paysages se font de plus en plus hostiles et l’enquête de plus en plus haletante.

Et pour ne rien perdre de ça Alberto Rodriguez ne s'y trompe pas et s'attelle à la création d'une ambiance extrêmement travaillé. Dès le générique le ton est donné ! Sur un tempo assez lent on voit défiler les photographie d'Hector Garrido, c'est calme, onirique voire presque hypnotique. La musique qui accompagne varie progressivement, vers une musique plus sourde, plus inquiétante créant ainsi des le début une atmosphère malsaine.


Ce que l'on retrouve au niveau de la direction artistique apporté à l'ensemble du film. La photographie signé Alex Catalan est impeccable, légèrement désaturés avec une prédominance de couleurs chaude pour souligner l'aridité du climat mais aussi la difficulté de l’enquête.


On peut aussi noter quelques influences du photographe Atin Aya dont Alberto Rodriguez s'inspire dans certains cadres. Au delà d'un vrai sentiment de malaise, le réalisateur ne perd jamais de vu son sujet et n'oublie pas d'y donner vie. Le récit est très bien mené ou les événement dictes le rythme. Entre pure investigations et interrogatoires musclés, Rodriguez colle toujours à ce qui se passe pour mieux nous faire ressentir les sentiments des personnages. Et des que l'action prend de l'ampleur c'est intelligemment mis en scène, la poursuite de nuit dans les rizières est brillante ! Tant dans la gestion de l'espace que dans le jeu de lumière qui se joue entre les deux véhicules. Puis le climax de fin, sous une pluie torrentielle surprend par la soudaine accélération de l'histoire. On est tenu en haleine d'un bout à l'autre de l'intrigue par l’intérêt constant que suscite Alberto Rodriguez …


Même si je conçois que l'histoire à de quoi déstabiliser par certaines ellipses ou encore par le fait que l’enquête cache à mon sens d'autres secrets. Ce qui est à mon sens le principal défaut du film. Mais ce n'est qu'a mon humble avis, une allégorie de ce qu'était les méthodes policières du temps de Franco. C'était une dictature ou le régime eu des méthodes expéditives et très peu glorieuses. De ce fait le film pose en filigrane la difficulté pour les représentants de l'ordre, ainsi que pour les hommes qui la compose a passer à d'autre méthodes et a se réformer en profondeur. Mais il y a aussi ce conflit générationnel entre Juan et Pedro, ambiguë et complexe qui pose la question du pardon des actes de l'un. Posant ainsi la question la plus douloureuse, doit on condamner les actes du passé ? Ou doit on oublier ? Une question sur laquelle Alberto Rodriguez nous laisse seul juge …

Le casting solide tourne autour des deux excellents premiers rôles joués par Javier Gutierrez et Raul Arevalo. Et aussi différent que soient les personnages qu'ils interprètent, l'osmose et l'entente qui se dégage entre eux est très bien travaillée, avec ce qu'il faut de nuance pour leur donner à chacun de l'épaisseur. Personnellement j'ai un coup de cœur pour Javier Gutierrez, qui souffle tellement le chaud et le froid qu'il en est fascinant. Nerea Barros joue la mère des deux filles enlevées avec beaucoup de fragilité et d'empathie, dégageant une force remarquable. Antonio de la Torre fait dans la sobriété, Manolo Solo est parfait en photographe « rapace » et la jeune star montante du cinéma espagnol Jesus Castro continue son petit chemin avec brio et efficacité.

L'un des polars de l'année viens d'Espagne !


Pour Aller plus loin: 

- Journal de Bord du film sur le site Antena 3 http://blogs.antena3.com/diario-de-rodaje-la-isla-minima/
- Le site de Hector Garrido http://www.hectorgarrido.com/

- Le site de Atin Aya http://www.atinaya.com/

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3 commentaires

  1. Quelle très bonne surprise ! Effectivement c'est dans la lignée de Memories of murder (la référence est assumée) et de True Detective (pure coïncidence), l'ambiance est vraiment particulière, les images sont très soignées, j'ai également accroché aux personnages et en général j'ai aimé cette réflexion sur cette période de l'Espagne.

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  2. Effectivement un polar comme on les aime !

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